« The most obvious solution would be to leave »

Il a fallu du cran à Soderbergh pour oser réadapter, à la suite de Tarkovski, le livre de Lem. Il en a fallu aussi à Cameron, producteur, pour accepter de faire d’un film de SF américain une œuvre finalement aussi intimiste et déjouant toutes les attentes du genre.
Evacuons d’emblée toute comparaison avec le chef d’œuvre du maître russe. Solaris brille par son resserrement (1h30 contre 2h45) et la condensation de ses thématiques. La terre n’est qu’un réseau de flash-backs, on évacue toute la question de la famille pour se concentrer sur celle du couple. Cette modestie affirmée permet un huis clos autonome, certes très fidèle à l’original, mais dont la tonalité propre va pouvoir se déployer. La musique de Cliff Martinez, d’une grande douceur mélancolique et hypnotique, parachève totalement cette atmosphère générale. Il s’agit de l’exploration d’un deuil qui ne passe pas, (cette fameuse closure en anglais).
Le montage fonctionne sur deux principes majeurs : l’ellipse et l’alternance. Assez énigmatique au départ, sans information d’ancrage, ni date, ni pays, il accumule les séquences pour construire un binôme entre passé doré et présent bleuté et métallique. D’une vraie finesse, la construction narrative est lissée par ce filtre mélancolique et compassé qui assure sa véritable réussite au film. Les acteurs sont sobres, (à l’exception de Jeremy Davies en Snow, un tantinet maniériste), la lenteur des mouvements et le cadrage en parfaite cohérence avec le propos, comme l’arrimage à la station et les différentes visions de Solaris, toujours sous cette musique envoutante, d’une grande et lente beauté.
Certes, les propos sont un peu sur-explicités et le langage pseudo-scientifique n’est pas toujours du meilleur effet. On aurait aussi souhaité une poursuite de la pudeur des évocations dans les dévoilements progressifs de l’histoire terrestre du couple, qui, par le motif du poème et les raisons du suicide, ont tendance à virer à une démonstration un peu forcée. Mais la véritable crainte qu’on pouvait avoir face au rouleau compresseur américain, c’était celle du dénouement. Or celui-ci s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’atmosphère construite auparavant, et parachève la mélancolie du propos général.
Cohérent par sa lenteur, sa sobriété et ses choix esthétiques, émouvant par son évocation de l’amour et du deuil, ce film est une réussite d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit sous l’égide d’un des grands films de SF du siècle, celui de Tarkovski et qu’elle n’oublie pas de payer furtivement, mais avec panache, son tribut à son autre père silencieux, le Kubrick de 2001.

Solaris de Tarkovski : http://www.senscritique.com/film/Solaris/critique/25309778
Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Science Fiction, Drame, Les plus belles histoires d'amour au cinéma et Les meilleurs films de science-fiction

Créée

le 2 déc. 2013

Modifiée

le 2 déc. 2013

Critique lue 3.6K fois

48 j'aime

3 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 3.6K fois

48
3

D'autres avis sur Solaris

Solaris
Sergent_Pepper
8

« The most obvious solution would be to leave »

Il a fallu du cran à Soderbergh pour oser réadapter, à la suite de Tarkovski, le livre de Lem. Il en a fallu aussi à Cameron, producteur, pour accepter de faire d’un film de SF américain une œuvre...

le 2 déc. 2013

48 j'aime

3

Solaris
engy
9

Critique de Solaris par engy

Note : je n'ai pas vu le film de Tarkovsky de 72 Note 2: je n'ai pas lu le livre de Stanislaw Lem Note 3 : je suis amoureux de Natascha McElhone (biggest eyes ever ?) Pour commencer, un rappel : le...

Par

le 30 juin 2010

22 j'aime

2

Solaris
SBoisse
6

« And death shall have no dominion... »

Une interrogation s’impose : à quoi bon produire un remake d’un tel chef d’œuvre ? Je n’ai pas de réponse, laissons la question de côté, pour laisser à Steven Soderbergh une chance de nous séduire...

le 14 sept. 2019

20 j'aime

9

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53