"Le Choix du Destin", transcription un peu ringarde du titre original "Soldaat van Orange" (Soldier of Orange), est pour moi le plus grand film sur la seconde guerre mondiale, à tel point qu'il m'a réconcilié avec cette thématique au cinéma (et depuis Croix de fer de Sam Peckinpah est aussi passé par là), ayant été dégoûté des films type "Il faut sauver le soldat Ryan".

Je ne trouvais rien d'intéressant au traitement manichéen d'une guerre où les gentils finissaient par triompher dans un torrent patriotique et larmoyant. Le point de vue centré exclusivement sur la vision américaine, assimilant les soldats allemands aux zombies sans vie qu'étaient les indiens dans les westerns des années 30, de la chair à canon basique qui avait fini par m'exaspérer et surtout pire, m'ennuyer, tant ce simplisme sautant à la figure, tuait toute crédibilité d'ensemble.

Aussi, et c'est tout à fait personnel, j'en avais également particulièrement marre des maisons en colombage, de la verte campagne et des vaches normandes.

Je préférais largement l'exotisme du conflit vietnamien, de la jungle étouffante et infinie, de la guerre incertaine et abstraite, de la folie qui s'empare des hommes et qui trouble les frontières entre bien et mal.

Et puis le film de Verhoeven est arrivé comme une bouffée d'air frais, et m'a fait reconsidérer la question : on peut donc faire à la fois un film d'aventure divertissant, et une histoire complexe, extrêmement riche et passionnante sur la seconde guerre mondiale.

L'ambition du film de Verhoeven qui raconte l'histoire véritable d'un héros national hollandais Erik Lanshof, est démesurée.

Raconter sous la forme du film d'aventure, tous les aspects de la seconde guerre mondiale, de la façon la plus efficace possible, et la moins épuisante est une gageure.

Le récit est absolument idéal, à la fois simple et complexe, et réside en une succession de temps forts, donnant le sentiment de voir plusieurs films en un, sans que jamais cela ne nuise à l'unité d'ensemble, grâce au talent proprement hallucinant de Verhoeven, qui va toujours droit au but, à l'essentiel, sans perdre de temps avec le superflu.

On a donc du film de guerre /de résistance / de sous-marin à la "Das Boot" / du film d'espionnage / de filature / film de prison ....
Et tout est incroyablement limpide...

C'est aussi un Starship Troopers avant l'heure, puisque le film commence à l'université, avec une bande de 6 amis, forcément insouciants, ils font une photo de groupe tous réunis, la guerre éclate, et évidemment ils ne seront plus jamais ensemble, le groupe sera éclaté, chacun suivant son propre destin, chacun faisant (ou subissant) ses propres choix.

Résister ? Poursuivre ses études ? Collaborer (par la contrainte) ? Rejoindre les SS en raison d'antécédents familiaux ? Fuir ? Trahir ?

Comme dans Starship, la conclusion du film permet de faire un bilan de cette aventure complexe, ces trajectoires floues des personnages, parfois tragiques, drôles à d'autres occasions, et finalement terriblement humaines.

En outre, dans les points communs avec Starship, je retiendrai également la musique de Rogier Van Otterloo, que je trouve géniale, et qui préfigure la superbe BO martiale de Basil Poledouris :
http://www.youtube.com/watch?v=iRKxTRi9CpY

Dans le casting, les deux rôles principaux (les seconds rôles également, dont certains que l'on retrouve dans Black Book) sont tenus par des acteurs fétiches de Verhoeven.

D'abord Rutger Hauer, dans le rôle d'Erik Lanshof, qui va être amené à résister un peu malgré lui et deviendra un héros - au départ il est un peu naïf (voire niais ce qui peut sembler étonnant pour celui qui deviendra quelques années plus tard un réplicant sans pitié mythique). Rutger est forcément hyper charismatique, et donc extrêmement attachant, et porte sur ses épaules l'essentiel du film.

Ensuite son comparse interprété par Jeroen Krabbé, acteur à la tronche fourbe par excellence, que j'avais déjà adoré en bad guy du James Bond "Tuer n'est pas joué", qui a notamment joué dans "Le quatrième homme", dernier film hollandais de Verhoeven, où il campait un écrivain gay pour le moins grotesque et caricatural, dans un film hitchcockien à mon sens assez moyen, mais pas inintéressant pour autant), et qui joue ici là encore de toute son ambiguïté naturelle.


Mais ce qui me plaît le plus c'est que "Soldier of Orange" dresse un portrait inédit de la seconde guerre mondiale, elle est tournée en dérision, avec l'ironie mordante caractéristique de Verhoeven : des bandes de bras cassés à tous les niveaux : cela commence fort avec l'armée néerlandaise qui capitule après 5 minutes de film, sans même avoir combattu.

Des méthodes de résistance foireuses, mal calculées, mal organisées par des pieds nickelés, une succession de boulettes invraisemblables (et pourtant véritables puisqu'il s'agit d'une histoire véridique), qui donnent un visage humain à la nature du conflit. Des hommes qui se débattent n'importe comment, et qui en plus en l'occurrence sont instrumentalisés par des anglais qui se fichent éperdument de leur sort, en les envoyant faire des allers/retours Angleterre/pays-bas "discrètement" pour poser des radios, des transmetteurs qui ne servent strictement à rien, si ce n'est de vague diversion (et en vrai, l'Angleterre essayait de faire croire à Hitler que le débarquement se préparait en Hollande).

On comprend dès lors que le sort d'Erik et de ses amis résistants, n'intéresse personne et est plus que précaire. Et qu'ils vont se retrouver livrés à eux-mêmes sans le moindre soutien.


Et puis, le film est incroyablement fin et subtil!
Chez Verhoeven, il y a toujours cette obsession d'être le plus anti-manichéen possible, ce qui peut être casse-gueule, et qui ici passe de façon totalement naturelle, au contraire de l'horrible "Black Book" pourtant sur le même thème, et qui à mon sens est horriblement surfait.

Dans "Black Book", pour casser le manichéisme, Verhoeven fout très artificiellement, un très méchant (façon stéréotype de bad guy James Bond) dans le camp des gentils (les résistants), et un très gentil dans le camp des méchants (les nazis, avec une romance particulièrement cucul). Il n'y a pas comme dans "Soldier of Orange" de vraie ambiguïté, et de porosité entre les deux extrêmes.

Ici, les hommes, quel que soit le camp choisi (volontairement ou non) ne sont pratiquement pas opposés, ni véritablement différenciés, la merveilleuse scène du tango, elle-même inspirée du conformiste de Bertolucci, Où Erik et son ex-ami devenu SS, dansent ensemble en allant dans toutes les directions, en est une brillante démonstration.

Et à la toute fin, Verhoeven place au même niveau, et à la même échelle, dans le même plan deux personnages qui ont eu des comportements tout à fait différents pendant la guerre :
A gauche, celui qui a été passif, et qui n'a rien fait, si ce n'est de poursuivre ses études (et qui a un rôle tout à fait mineur voire anecdotique dans le film).
A droite, Erik, l'archétype du personnage héroïque, et qui a été actif, et qui de fait à causé des morts, et ce même parmi chez ses amis.
Ils ont donc la même importance, il n'y a pas de jugement, ni de hiérarchie entre les personnages, et ils concluent le film en trinquant "à l'avenir"!

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le 9 mai 2013

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KingRabbit

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