Un soir de 1944, alors qu'il revenait complètement beurré à sa caserne, le sergent Waters est abattu sur la route. Qui est le meurtrier ? un civil, un militaire ? un Noir, un Blanc ? et pour quel mobile ? Ce sera le job du capitaine Davenport, envoyé par Washington d'éclaircir cette affaire. Deux détails : Waters était un sergent instructeur, Noir et grande gueule qui prenait plaisir à brimer des recrues attendant d'aller au front. Et Davenport est aussi un Noir, il dérange dans cette base militaire pour soldats blacks (commandée par des Blancs), car personne n'avait vu ici un gradé black. On devine donc où Norman Jewison veut nous emmener, sur un terrain qu'il a déja abordé : la ségrégation dans une enceinte militaire, et le racisme aussi bien anti-Noir qu'anti-Blanc. On pouvait craindre que Jewison nous refasse le coup de Dans la chaleur de la nuit où le flic noir Sidney Poitier débarquait dans une petite ville sudiste et devait résoudre un meurtre malgré l'hostilité du sheriff blanc local. A première vue, le début est pratiquement identique, on a un colonel qui se heurte à Davenport parce qu'il refuse d'admettre l'arrestation d'un Blanc si c'est le cas, et un capitaine blanc qui au départ accueille froidement Davenport mais qui devient plus souple au fil de l'enquête.
Mais ça s'arrête là, le film est adapté d'une pièce, et à priori, Jewison ne veut rien démontrer, il se contente de dépeindre un milieu et des mentalités à travers l'enquête de Davenport, et surtout il décrit comment était le sergent Waters à travers des flashbacks de ceux qui l'ont connu. C'est donc plus une leçon de morale qui s'effectue à posteriori, très loin des stéréotypes "progressistes" habituels qu'on peut rencontrer dans ce type de sujet, parce qu'on sent que la réalité est ici plus complexe, la ségrégation existe bien entre Blancs et Noirs, mais le racisme s'exerce aussi entre "frères de couleur" qui n'ont pas les mêmes convictions et la même idée de l'image qu'ils doivent renvoyer dans cette armée US.
L'ambiance est plutôt tendue, la tension psychologique est des plus intéressante, le film séduit en profondeur par son atmosphère en huis-clos dans cette base militaire, et aussi par son casting, avec évidemment un bataillon d'acteurs noirs tous très justes, certains sont des troisièmes rôles qu'on a vus par-ci par-là, d'autres sont un peu plus connus comme Art Evans, vu dans des films d'action, dont 58 minutes pour vivre et le Flic de San Francisco, on y voit d'ailleurs les débuts de Denzel Washington (c'était son 3ème film) dans un rôle secondaire mais important, il se fera mieux connaitre dans Cry Freedom 3 ans plus tard, puis dans Glory en 1989 qui lanceront sa carrière. Dans le reste du casting, on a quelques acteurs blancs comme Wings Hauser, le père de Cole Hauser, spécialisé surtout dans les petites frappes, qui incarne ici un sergent vindicatif, et Dennis Lipscomb dans le rôle du capitaine qui aide Davenport, cet acteur ayant été vu surtout dans des films d'horreur des années 80. Dans le rôle de Davenport, Howard Rollins Jr est remarquable en officier pugnace en quête de la vérité, cet acteur découvert en 1981 dans Ragtime n'a hélas tourné que peu de films, mort trop jeune à 46 ans, c'est dommage car une belle carrière s'ouvrait devant lui ; il est amusant de savoir qu'il a incarné Virgil Tibbs (rôle de Sidney Poitier) dans la série Dans la chaleur de la nuit en 1988 qui était la version télévisée du film de Jewison (144 épisodes). Enfin, la chanteuse Patti LaBelle tient un petit rôle de chanteuse de bastringue dans un bar pour soldats blacks
Voila donc un film très méconnu, qui n'a pas eu la reconnaissance qu'il aurait dû avoir en 1984, et qui mérite d'être redécouvert.