Sur la bonne voie
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le 18 févr. 2021
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Décédé en avril dernier, le réalisateur de Solo, Artemio Benki, n’aura pas eu le temps de voir aboutir son dernier film dans les salles obscures. Un documentaire qui devrait pourtant connaître une belle trajectoire tant il propose un regard neuf et pertinent sur la maladie mentale, la création et le rapport au réel.
Remarqué lors de la sélection Acid de Cannes 2019, coup de cœur de l’équipe du cinéma de l’Utopia et fraîchement auréolé d’une mention spéciale du jury de Musical Écran, le film dresse le portrait de Martín Perino, pianiste argentin promis à un avenir radieux en tant que concertiste classique, un enfant prodige sérieux et impliqué.. jusqu’à ce que tout s’effondre.
De sa chute et ses détails, le film n’en délivra que peu d’éléments, l’essentiel étant ailleurs : comment composer, revivre et avancer lorsque l’ambition de toute une vie s’est si brusquement effondrée, réduite à néant par une pression constante, des projections omniprésentes sur le futur par soi-même et les autres et, bien-sûr, le travail et l’esprit de compétition. Une expérience douloureuse qu’il décrit comme une « perte de contact avec la réalité ». « Il faut négocier avec » dit-il dans une de ses nombreuses fulgurances philosophiques et éclairées. « D’une certaine manière, la folie donne des ailes… à toi, à moi, au président de la nation » explique le pianiste, conscient que ses faiblesses peuvent aussi être une force.
Interné dans l’hôpital psychiatrique de Buenos Aires, l’instrument ne le quitte pourtant jamais : alternant entre clavier électronique et piano droit acoustique (fortement) désaccordé, Martín joue tous les jours, pour lui comme pour les autres. Mais son ambition est ailleurs : Enfermaria, projet artistique de longue haleine mêlant danse et musique, qu’il développe en collaboration avec une amie, Sole. Une composition en constante évolution laissant une place prépondérante aux improvisations et à l’inventivité des deux artistes, dont le film dévoile de beaux extraits.
Après une ellipse de plusieurs mois, nous découvrons un homme changé : vivant désormais dans un appartement plutôt modeste, loin de l’établissement psychiatrique, il est alors seul face au monde, et surtout face à lui-même. Son traitement médicamenteux, tel une survivance de la période passée, ne peut cependant cacher l’élément qui manque alors à sa pleine reconstruction : un piano. N’en possédant pas, il cherche par tous les moyens à avoir accès à son instrument fétiche, trop loin de l’hôpital et des centres culturels qui lui permettaient autrefois de jouer et satisfaire ainsi son appétit musical. Cette quête révèle alors la facette la plus déterminée de Martín : un homme qui, coûte que coûte, cherche à développer et à faire entendre son art.
Au delà de son captivant sujet, le film subjugue également par le soin porté au cadre et à l’image, tout comme sa capacité à saisir d’intenses moments de profonde humanité.
C’est en effet parfois dans les détails, sa façon de se concentrer sur certains éléments à priori secondaire ou anodins, qui font sa force : ici une jambe folle, traduction de l’anxiété et la nervosité du pianiste, là un regard, perdu, en signe d’acceptation de sa propre solitude. Et puis, surtout, cette séquence qui clôt le film : les mains de Martín parcourant une table, comme sur un piano invisible. Sans son instrument, sa musique est alors réduite à son expression la plus primitive, percussive, intérieure. Un concert pour l’esprit que seul le souffle de l’artiste acharné vient ponctuer.
Le film atteint par moment une vérité si pure et juste qu’on jurerait les dialogues et événements sortis d’une fiction tant ils saisissent l’essence même de l’humain, de son rapport à l’autre, à la solitude, la création ou la maladie. Des moments parfois irréels, profondément dramaturgiques, comme ce tabouret qui s’écroule sous la fièvre et le poids de l’interprétation possédée d’une œuvre du répertoire romantique par Martín.
Nous sommes parfois proches de l’approche et de l’univers de l’émission culte Strip-tease par son regard qui refuse de juger, laissant les images parler d’elles-mêmes, sans voix-off, entretiens, textes ou commentaires. Appuyé par un montage d’une précision chirurgicale, le film dévoile peu à peu un rythme et un ton singulier, souvent grave, jamais pesant. L’occasion également d’y inscrire une temporalité unique : celle de son sujet, en constant décalage avec le monde qui l’entoure, et pourtant présent à chaque instant.
Un être seul, mais peut-être plus pour très longtemps, puisque le film devrait être bientôt distribué en France ; une nouvelle dont on ne peut que se réjouir tant ce personnage comme ce film gagnent à être découverts par tous.
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Créée
le 19 sept. 2020
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