La critique de Somewhere est aisée, on risque de l'entendre encore et encore : "il ne se passe rien". Bien. Après tout, on a dit la même chose de Lost in Translation, qui est selon moi un chef d'œuvre.
Il faut le reconnaître, il ne se passe rien dans Somewhere. Mais une fois ce constat établi, si on essayait de voir un peu plus loin? Tuer le récit, rejeter l'intrigue, Sofia Coppola n'est pas la première à le faire. Sans remonter aux symbolistes, à Bouvard et Pécuchet, ou mieux, au Nouveau Roman, la littérature a été longtemps le lieu d'une recherche, celle du non-roman, du non-récit, à l'origine de certains des plus beaux textes des 200 dernières années.
Pourquoi donc ne pas tenter cette expérience de l'envers, du contre-divertissement, en y ajoutant le support esthétique de l'image? Les critiques ne devraient pas se concentrer sur le fait qu'il ne se passe rien, mais plutôt se demander pourquoi? Pourquoi une intrigue aussi chétive? Dans quel but? Sofia Coppola a t-elle réussi ce qu'elle tentait d'achever? La réponse est multiple et peut-être lue à plusieurs niveau.
Premier "degré" de compréhension, et il a été souvent abordé par les critiques, celui de la vacuité du star system, de la tristesse de cette icône hollywoodienne, ce côté "Bill Murray perdu dans un hôtel japonais", qu'on connaît déjà et qui n'est clairement pas l'aspect le plus intéressant de Somewhere. Il est très connu, il est très triste, il boit, fume, baise. Bien.
Parallèle étrange avec les premiers et derniers livres de Brett Eston Ellis, Less than Zero et Imperial Bedrooms, où l'on retrouve la solitude, la perte de repère mais aussi, et c'est plus intéressant, cette paranoïa sourde et cette menace (passant, dans le livre, comme au cinéma, par des sms anonymes ou des SUV noirs en filature).
On comprend très vite que le circuit fermé qu'est la vie de Johnny Marco sera rompu, revitalisé par l'arrivée de sa fille qui cuisine, gambade, patine. Bref, l'amour, l'échange, la filiation blablabla. On peut reprocher à Coppola non pas un manque d'intrigue, mais un cadre peut-être trop prévisible.
La seconde lecture de Somewhere, et sûrement la plus riche, est celle liée à l'exercice de style, à la touche de Sofia Coppola depuis Virgins Suicide. Essayer de communiquer par le silence, le creux, le regard. Personne ne le niera, le cinéma de Coppola à défaut d'être exaltant, est beau et esthétique, confinant parfois presque au maniérisme. C'est pourtant ici le point fort de la réalisatrice, se tenir en retrait et observer, poser un œil délicat et affuté sur des petites choses, des tropismes, des impressions. Ce sont les moments les plus réussis du film, parfois bizarrement contrés par des saynètes, des petites farces intrigantes comme la scène cunnilinguale, ou celle du masseur nu. Il n'empêche que Somewhere, s'il ne possède pas l'aura et l'ampleur que pouvaient avoir Virgin Suicides ou Lost in Translation, continue à affiner le regard de Coppola, parfois brillant de subtilité (la scène du petit déjeuner en Italie).
Anodin? Sûrement, car Somewhere ne marque en aucun cas une rupture ni une évolution dans la carrière de S.Coppola.
Réussi? Sans aucun doute, car filmer l'ennui et le rien, filmer une voiture qui roule, filmer un mec assis, cela n'avait plus été aussi bien fait depuis Brown Bunny.