Bon bon bon. C'est joli ce machin là mais point trop folichon mes seigneurs.
Cela dit, on était tellement sans trop de nouvelles de Neil Marshall ces dernières années qu'une nouvelle livraison du bonhomme fait plaisir même si elle se révèle un peu plus faible que plusieurs oeuvres passées, témoignage d'une santé cinéma (à l'instar de ce qui se passe aujourd'hui avec la pandémie -- et ce n'est pas la dernière fois que l'on livrera une métaphore du monde actuel dans les dernières oeuvres culturelles) un peu pâle et pas tout à fait retrouvée.
A vrai dire, le cinéaste britannique n'a jamais vraiment cessé de tourner mais après un pourtant très chouette Centurion en 2010 (avec Michael Fassbender et Olga Kurylenko qui rivalisaient de charisme à l'image), sa carrière s'était recentrée sur les épisodes de série télé, de Black Sails à Game of Thrones en passant par Hannibal ou Westworld et si j'oublie plus ou moins sa version de Hellboy en 2019 qui a fait huer un peu tout le monde, ben, c'est tout simplement parce que je ne l'ai pas vue ! Beh oué, on peut pas tout voir.
Alors bon, quand on me propose "Sorcière" (alias "Sorcière - cinq jours en enfer") du coup, je suis curieux moi, je ne dis pas non !
(Notez bien qu'on m'a demandé mon consentement hein)
Le début du film s'annonce sous les meilleurs auspices.
Texte déroulant sur une introduction frontale (un charnier) en noir et blanc suivi d'un prologue dramatique dans les mêmes tons monochromes et superbes d'une photographie magnifique signée Luke Bryant sur la musique d'un Christopher Drake en mode "Lux Aeternia" d'un Ligeti. Cela annonce presque un film avec la même puissance qu'un The VVitch de Robert Eggers (nouvelle référence incroyable du cinéma fantastique et horrifique de ces 10 dernières années, Les diables de Ken Russell, LA référence dans le genre étant à un niveau insurpassable et intouchable à vrai dire), sauf que par la suite, Marshall décide de se calmer et passe très vite en mode bourrin sans subtilité.
Et curieusement si on accepte de débrancher son cerveau (vu ce qu'il se passe dans le monde c'est pas trop difficile), on s'y fait en fin de compte puisqu'au final, Sorcière - cinq jours en enfer, assume sans mal son statut de série B efficace vite vue et... vite oubliée. Rien de révolutionnaire ni d'audacieux donc, ni même d'audaces visuelles (la photographie qui passe en couleurs après le prologue pour tout le reste du film reste toutefois un régal pour les yeux de chaque instants il faut le signaler. Et la galette de la Métropolitan rend d'ailleurs très bien justice d'un point de vue technique à cet enchantement visuel) ou sonores ou dans sa mise en scène, juste un film à mi-chemin entre fantastique (un peu) et thriller sur fond de procès de sorcellerie (beaucoup).
Bref, cette vision du Moyen-âge s'avère saisissante de beauté.
Probablement trop pour une période qui eut autant ses moments de grâce (réécoutez la musique de Hildegarde von Bingen) que de noirceur mais le problème principal n'est pas là.
Non, ce qui empêche Sorcière d'atteindre le niveau des grands films voire juste d'un bon film (ouh je suis méchant aujourd'hui hein ? :D ) c'est son scénario co-écrit à 4 mains par Marshall et sa compagne Charlotte Kirk.
N'étant pas historiens et refusant volontairement une vision trop réaliste de l'époque par trop de documentation qui ne leur aurait pourtant pas fait de mal (je vous incite par exemple à voir l'excellent film -- français qui plus est-- "Les filles au Moyen-âge" (2015) qui remet à plat les idées reçues sur la liberté de la femme pendant cette période et qui témoigne donc d'une ouverture peu commune qui s'est perdue pas mal par la suite), nos deux compères très amoureux l'un de l'autre (Marshall filme plusieurs fois avec tendresse la croupe de son adorée sans que cela n'apporte grand chose au récit. Bon ce sont de jolies fesses, c'est vrai mais Neil, concentre toi sur l'histoire quoi) en profitent pour accumuler joyeusement incohérences et poncifs.
Là où par exemple un Fanny Lye Deliver'd de Thomas Clay (vu en festival) surprenait dans le bon sens en abordant tout le long une rigueur technique et sociale sur ce que pouvait plus ou moins être la condition féminine en ces temps sombres, notre truculent duo décide de montrer une héroïne forte tout le temps et puis qui vivra verra, pouët pouët.
Pas une fêlure donc, pas de doute, rien qui puisse enclencher l'empathie du spectateur et la rendre plus humaine.
Surtout qu'on nous dit dès le début qu'elle est pauvre, qu'elle est veuve d'emblée et que le seigneur local a des vues sur son fessier (fort joli, il est vrai). Manque de pot, pour une pauvre femme éplorée qui vit seule à la campagne, retirée, son mari possède une épée (pas une pauvre lame rouillée et qui aurait servie de générations en générations dans la famille parce qu'elle aurait servie à un lointain aïeul qui aurait servi dans l'armée du roi ou autre, non non, un truc beau et rutilant, poncé au bricorama du coin. Sérieux ?), belle et quasi neuve, un cheval de course (même pas un cheval de trait qui pourrait servir à labourer les moissons... Ils font comment du coup ? Enfin, ils faisaient comment ? Putain les mecs mais renseignez vous...), sans compter leurs alliances de mariage, en or pur.
Ahem.
Et même dans son comportement avec le seigneur, le plus souvent je décèle plus une certaine morgue de l'héroïne face au bonhomme (guère sympathique non plus il faut dire mais comme disait Audiard, "Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les mecs de 60 kilos les écoutent" et là on sent que le gars est d'emblée un pur connard © donc bon, what's the point ?).
Face à ces personnages en opposition, Marshall et Kirk ont toutefois la bonne idée de faire planer un peu plus d'ambiguïté sur l'inquisiteur (joué par Sean Pertwee, une vraie gueule du cinéma anglais et qui a déjà croisé à deux reprises auparavant le chemin de Marshall) et son homme de main, ou plutôt sa "femme de main", Ursula, une prétendue sorcière à demi-brûlée, qui tous deux n'hésitent pas à remettre en cause leur foi. On le voit, il s'agit plus pour les auteurs de dénoncer les ravages de la religion dans ce qu'elle a de plus extrême quand elle se met en tête de s'occuper avec un zèle inquiétant de toutes les femmes qui auraient un tant soit peu dévié du chemin imposé par une société assez patriarcale. Et là pour le coup on a une vraie bonne idée de scénario assez bien exploitée puisque le film s'attarde pas mal sur la relation qui lie ces deux-là. Certes, ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère (on a même droit à des visions du Malin !) et l'on pourra regretter un aspect trop bourrin qui dessert un peu le film au delà de sa forme (l'héroïne devient limite une Rambo dans les 20 dernières minutes !) mais bon comme je l'ai écrit plus haut, il est clair que refaire un film à la façon des Diables (voire même du Belladonna of sadness / Belladonne de la tristesse ou simplement Belladonna de Eiichi Yamamoto comme on l'appelle plus régulièrement, chef d'oeuvre du film d'animation justement basé sur "La sorcière" de Jules Michelet et donc se déroulant au Moyen-âge) n'était pas le but.
Finalement, le film s'apprécie pour ce qu'il est simplement une bonne série B sans prétention qui fonce sans temps morts. Vite vue, vite appréciée et déjà presque vite oubliée. A une prochaine fois Neil, peut-être ?