Joseph L. Mankiewicz savait accorder de l'importance aux dialogues. Et comme tous ceux qui reconnaissent l'importance des paroles, ils savait qu'il s'agit d'un instrument de pouvoir. Mots et politique sont indissociables. Et c'est finalement que se situe l'unité du cinéma de Mankiewicz, de Eve à Cléopâtre, de Jules César au Reptile, de Chaînes Conjugales au Limier. A chaque fois, il s'agit de savoir utiliser le langage comme instrument de domination. Les mots rabaissent, trompent, manipulent, ordonnent.
C'est bien cela qui se joue ici, une fois de plus, peut-être avec une plus grande maestria encore, dans ce joyau. Car dans quel autre écrin le langage a-t-il une aussi grande importance que dans un hôpital psychiatrique ? Un langage qui révèle, qui met à jour, qui libère, qui décortique les sentiments et les passions. Un langage qui menace aussi. Car il est ici aussi question de pouvoir. Du pouvoir conféré par l'argent.
Soudain l'été dernier réunit toutes les qualités de Mankiewicz. La direction d'acteurs est exceptionnelle, et je ne suis pas loin de penser que c'est le plus beau rôle de Liz Taylor, à la fois fragile et incandescente, dégageant une sensualité rare. Katharine Hepburn a ici un contre-emploi unique, et Monty Clift (dont on ne chantera jamais assez les louanges) parvient à un jeu tout en retenu et d'une subtilité rare.
Par contre, le propos, lui, est d'une grande violence. Et la mise en scène de Mankiewicz renforce encore l'aspect poisseux de la pièce de Tennessee Williams. Le générique défile sur un mur en brique, et les premières images de l'hôpital psychiatrique, avec ses zones d'ombres et ses horizons bouchés, ne laissent aucune chance de sortie à ses pensionnaires. D'emblée, nous sommes dans le lieu du désespoir, où la seule possibilité de « traitement » semble résider dans la lobotomie...
Lieu du désespoir pour les patients, mais aussi pour les soignants. L'opération qui ouvre le film se déroule dans une salle surchauffée et délabrée, aux murs qui s'effritent. Toi qui entres ici, abandonne tout espoir : l'hôpital ressemblent de plus en plus à l'enfer.
L'Enfer.
L'enfer, c'est le lieu où toutes nos pensées, toutes nos actions, toute notre vie se déroule devant les yeux de tout le monde, où il est impossible de se cacher. « Dieu me voit », annonce un écriteau dans la chambre de Catherine. Tout l'enjeu du film se situe là : cacher ou mettre en pleine lumière. En exigeant la lobotomie de Catherine, Violet cherche à enfouir définitivement le mal qui la ronge elle. Elle veut rester dans son illusion d'un monde romantique où tout est beau et propre. Où la nature est belle et docile.
A l'inverse, Cukrowicz veut mettre en pleine lumière, par un long et laborieux travail du langage. Une mise en lumière qui est associé à l'été. Dans le film, l'été, c'est la saison de la lumière, de l'illumination, celle où rien ne se cache, où les vérités les plus crues se font jour. Violet l'explique : c'est en été que Sebastien lui a révélé la cruauté de la nature. C'est en été que se montre la bestialité du monde et des hommes.
Là encore, la qualité de la mise en scène de Mankiewicz s'impose aux spectateurs. Quoi de mieux, pour montrer la cruauté de la nature, que cette petite promenade dans la jungle de Sebastien ? Les plantes carnivores (appelées « Vénus » : l'amour est cannibale), l'impression d'étouffement et, au milieu de tout cela, Violet elle-même, fleur vénéneuse par excellence.
Quel personnage marquant que cette Violet Venable, richissime veuve qui veut user de l'influence que lui confère sa fortune pour enfouir un secret honteux. Un secret qui apparaît très tôt dans le film, pour celui qui veut bien regarder les images. La « garçonnière » de Sebastien, gardée par une sorte d'ange exterminateur. Et les mots de Violet.
« Nous étions un couple célèbre », dit-elle pour présenter Sebastien. Lors de ses premières répliques, rien ne semble prouver que Sebastien est son fils : elle en parle plutôt comme son mari. Et elle-même se présente comme l'impératrice de Byzance.
Une fois de plus, les mots sont des révélateurs.
Une fois de plus, rien n'est laissé au hasard dans ce film prodigieux. Mankiewicz était vraiment un des maîtres du cinéma, et ce film est une de ses merveilles.