"Il n'y a rien à réparer ici"
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Quelques fausses pistes semblent se confirmer dans l’ouverture puissante de Sound of metal : Riz Ahmed y livre une performance de batterie sur scène, accompagnant les cris de sa compagne, totalement habité par la musique, proche du metal annoncé, sa violence et sa force hypnotique. L’intensité, les crises et l’addiction pour ce drogué en sursis viennent ajouter aux ingrédients attendus d’un film sur la maladie, la rupture et la souffrance.
Ce prologue anti programmatique montre la maturité avec laquelle Darius Marder, scénariste pour Derek Cianfrance sur The Place beyond the pines et dont c’est ici le premier film, aborde son sujet. L’itinéraire suivi par Ruben sera moins celui d’un patient que d’une initiation à lui-même. Après une phase d’immersion dans les vertiges de l’acouphène par un travail subjectif sur le son, le silence prend très vite ses quartiers. Ruben intègre une communauté de sourds qu’il regarde à distance, dans l’attente d’une opération qui pourrait lui rendre l’audition.
Le récit, lent, modeste et intime, s’attache donc surtout à un itinéraire de délestage. Engagé dans une action intense, celle du batteur clean depuis 4 ans, Ruben se voit soudain propulsé comme un observateur passif – on lui donnera un nom en langue des signes qui rappelle les yeux écarquillés avec lesquels il contemple son nouvel environnement. Il s’agit pour lui de passer d’une bulle (son camping-car et la vie de tournée avec sa petite amie) à une autre, celle d’une communauté à l’écart du monde, dans laquelle la rage est encore plus grande, mais ne trouve plus les mêmes voies d’expression. Le film parvient, avec une grande délicatesse, à maintenir deux lignes qui semblent contradictoires : celle d’une découverte de l’autre, de la langue des signes, d’une confiance croissante, et l’autre, en sourdine, de la conviction qu’il s’agit là d’une parenthèse avant un retour à la normale. De ce point de vue, l’articulation avec l’addiction passée et le risque d’un retour des vieux démons après quatre ans d’abstinence est pertinente : alors que Ruben peut baisser la garde pour se laisser aller au contact des autres, et particulièrement des enfants, il reste toujours sur le qui-vive pour accéder à l’extérieur par le bureau de son responsable, ou la vente de son matériel.
(Spoils à prévoir)
Le discours que ce dernier lui tient sur le handicap pourrait sembler à l’encontre même de la dynamique traditionnelle d’un scénario : le spectateur attend un après, et ne peut imaginer que cette initiation à la rédemption se fasse simplement dans le silence et à l’écart du vaste monde. Le dernier segment prend donc le parti de Ruben, et mène à son terme ce qu’il avait prévu, sans oublier les paroles de son conseiller, qui lui affirme « you look and sound like an addict ». Ne pas considérer la surdité comme un handicap à soigner (l’homophonie entre to fix et le fix d’héroïne est probablement volontaire) ne se fera pas à la faveur d’un discours pour le jeune, homme, mais dans un parcours et des retrouvailles. La dernière partie, très touchante, le voit ainsi affronter la désillusion de la guérison promise, et transformer en adieux ce qui devait être un retour. Mais c’est riche de la sérénité de ceux qui l’ont entouré qu’il pourra le faire. Sous le regard bienveillant de Marder, qui aura été l’accompagnateur discret de son parcours, Ruben prend acte de son effondrement, dans un fracas feutré qui a tout de la renaissance.
(7.5/10)
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le 3 août 2021
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