South
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Documentaire de Frank Hurley (1919)

L'odyssée des pôles et la beauté des échecs

South, à travers l'objectif de l'aventurier et photographe australien Frank Hurley, raconte l'expédition britannique Endurance qui emmena 30 hommes et 70 chiens depuis la Géorgie du Sud et les Îles Sandwich du Sud en direction du Pôle Sud, à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce fut un immense échec : pris au piège de la glace et des nombreux imprévus, la mission durera près de trois ans pour certains membres de l'équipage, de 1914 à 1917. Mais il semble bien difficile de trouver dans l'histoire des expéditions un échec aussi magnifique.


Le schéma suivant, comportant les données cartographiques actuelles dont ne bénéficiait évidemment pas l'expédition à l'époque, résume le périple.


http://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/south/trajet.png


Deux choses vraiment incroyables, en ce début de 20ème siècle :


— Tous, absolument tous les membres d'Endurance survécurent. Ils étaient largement sous-équipés, sans ravitaillement extérieur, sans GPS, sans source alternative d'énergie. Après quelques mois de traversée sur les eaux gelées, leur bateau finira bloqué pendant neuf longs mois, prisonnier de la glace, comme incrusté dans une roche glaciale, avant d'être définitivement détruit sous la pression des glaciers en formation puis abandonné. Les membres de l'expédition survécurent pendant 22 mois par des températures atteignant les -45°C. Une mission de secours, montée par le chef de l'expédition Ernest Shackleton et cinq de ses hommes partis de l'épave en direction de la Géorgie du Sud, leur point de départ, pour y trouver de l'aide, mettra deux ans avant de les retrouver. Encore une fois, car il faut bien le répéter plusieurs fois pour l'assimiler : tous survécurent.


— De manière plus anecdotique, les pellicules de Frank Hurley survécurent elles aussi à la catastrophe. En soi, les images sont déjà extraordinaires et constituent un matériau documentaire d'exception (à titre de comparaison, Nanouk l'esquimau racontant l'expédition de Robert Flaherty dans la baie de Hudson, sortira 3 ans plus tard). Mais à la lumière des péripéties que l'équipage et donc les bobines du film ont endurées, entre l'hiver polaire, la catastrophe du bateau et la mission de secours, le fait qu'elles soient revenues intactes — ou du moins exploitables — en Grande-Bretagne relève presque du miracle.


Ernest Shackleton et son équipage ne furent cependant pas les premiers à fouler les terres antarctiques. En décembre 1911 déjà, les membres de l'expédition norvégienne conduite par Roald Amundsen atteignaient le Pôle Sud. C'était l'époque de la course à l'exploration : une équipe concurrente composées de cinq Britanniques, au sein de l'expédition Terra Nova commandée par l'officier de la Royal Navy Robert Falcon Scott, y arrivèrent un mois plus tard en janvier 1912. Mais cette expédition-là sera entièrement anéantie par la faim et le froid lors du trajet retour (cf le film de Herbert Ponting, L'Éternel Silence) : voilà l'expression de la beauté des échecs britanniques par excellence. C'est donc au cœur de cette dynamique de l'exploration qu'Ernest Shackleton conduisit une expédition avec pour objectif la traversée du continent antarctique en 1914 : 11 mois plus tard, le cauchemar britannique se reproduisit tandis que la banquise s'emparait de leur bateau quelque part dans la mer de Weddell.


Les encarts initiaux insistent sur la dimension héroïque de cette bataille pour la survie en ces terres hostiles et gelées, ainsi que sur le contexte géopolitique très particulier de l'expédition, alors que l'Empire britannique déclarait la guerre à l'Allemagne en août 1914. Les membres de l'expédition, comme tous leurs compatriotes, pensaient que la guerre serait terminée rapidement, avant la fin de l'année : à leur retour en Europe en 1917, les tranchées seront toujours actives et les rapports de force auront radicalement changé.


Frank Hurley documente énormément la lente destruction du bateau pris dans la glace, en dépit des nombreuses tentatives de l'en sauver. L'équipage se retrouva ainsi coincé à une centaine de kilomètres de la côte antarctique, prisonnier d'un hiver plus rigoureux que la moyenne, sur une plaque de glace à la dérive pendant neuf mois. Alors que l'amertume devait gagner Shackleton, l'échec cuisant signant sans doute la fin de sa carrière d'explorateur, Hurley filme les membres de l'expédition qui s'activent autour de l'épave, évacuant les chiens et construisant des piliers de glace comme repères dans le blizzard. Surtout, il prend quelques clichés spectaculaires du bateau, de nuit, éclairé par une vingtaine d'ampoules d'appoint faisant ressortir la surface gelée de tous les cordages et tous les mâts : un véritable vaisseau fantôme. La taille ridicule de l'expédition, une vingtaine d'hommes, saute alors aux yeux.


Une fois la mission de sauvetage initiée, ce passage en canot de sauvetage sur une distance de plus de 1000 kilomètres n'étant bien évidemment pas filmé (long de quelques mètres, on imagine qu'il n'y avait guère de place pour une caméra, pas plus que de ressources psychologiques pour filmer : cette absence d'images, bien qu'elle soit compréhensible, n'en est pas moins frustrante), South vire étonnamment au reportage animalier dans les environs de l'île de Géorgie du Sud. Le film avait déjà fait la part belle aux chiens de traineau dans la première partie, images essentielles au succès commercial semble-t-il, mais on imagine bien que si l'on n'entend plus parler de tous ces animaux à partir d'un certain moment, c'est bien tristement qu'il a fallu les abattre quand la phase de survie fût engagée.


La fin du documentaire se tourne ainsi vers la faune essentiellement constituée de manchots (comparés par les auteurs, dans les intertitres, à des sosies de Charlie Chaplin... drôle d'instant à la limite du sarcasme) et d'éléphants de mer, filmés très (trop) longuement sous toutes les coutures. Les auteurs de mentionner "these pictures were obtained with a good deal of time and effort"... Bel euphémisme.


Le Norvégien Amundsen, premier homme à avoir foulé le Pôle Sud à la barbe des Anglais, aurait déclaré "never underestimate the British habit of dying. The glory of self-sacrifice, the blessing of failure". L'épopée de l'Endurance fut en effet un magnifique échec. Mais l'histoire de ces hommes prisonniers de la glace pendant près de deux ans, présumés morts avant que les secours ne les retrouvent au cours d'une mission de la dernière chance initiée par Shackleton, force le respect. Les images que Hurley en a tirées sont d'une beauté incroyable et témoignent un état d'esprit d'aventuriers et d'explorateurs polaires qui restera gravé dans l'histoire, au passé. C'est la beauté des découvertes de terres inexplorées alliée aux dangers de ces expéditions vers le Pôle Sud virant à la survie, à une époque où le Pôle Nord commençait déjà à être balisé par des explorateurs comme Frederick Cook et Robert Peary.


Frank Hurley était occupé par un travail documentaire au fin fond de l'Australie quand il eu vent de l'expédition en cours d'élaboration par Shackleton. Il n'hésita pas une seconde. Il devint ensuite photographe de guerre durant la Seconde Guerre mondiale et en Palestine. Ernest Shackleton s'embarqua par la suite dans une nouvelle expédition vers le Pôle Sud au cours de laquelle il mourut. Il fut enterré en Géorgie du Sud et sa mort signa la fin de la fièvre des explorations polaires.


Le billet illustré dans son format original : http://www.je-mattarde.com/index.php?post/South-de-Frank-Hurley-1919

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le 10 août 2017

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