Ambiance !
Après la sortie du dernier film en date de la carrière d’Hayao Miyazaki (plus maintenant vu qu’il travaille en ce moment sur Boro la petite chenille pour 2019), les studios de Takahata et du maître de la Japanimation ont commencé à entrer dans un début de semi-hibernation qui, dans mon cas, m’attriste énormément alors que commercialement, je ne pense pas que les deux productions qui ont ensuite vu le jour aient à rougir.
Tout d’abord Le conte de la Princesse Kaguya qui, si il a été remarqué dans plusieurs festivals (y compris aux Oscars en 2015 en tant que nominé… mais on aura préféré Disney, pas vraiment à juste titre même si j’aime beaucoup Les Nouveaux Héros) a déçu au box-office, puis le second long-métrage de Yonebayashi adapté du roman britannique When Marnie Was There de Joan G. Robinson qui se fera au final discret lors de son exploitation en salle chez nous quand bien même il a rapporté plus du double de son budget lors de son exploitation sur le territoire nippon (3.2 milliards de yens contre un budget de 1,15 milliards de yens).
Et pourtant je qualifie qu’il serait faussé de dire que celui-là échoue en tant que film car il possède ce que tout bon film du studio se doit d’avoir. S’il faut attribuer un gros point à Souvenirs de Marnie : c’est un film qui vit et transpire l’harmonie en tout point de vue.
Cette harmonie passe d’abord par sa palette visuelle qui procure un énorme sentiment d’apaisement. Avec cette omniprésence du vert de la campagne (allant jusqu’à dominer la chambre d’Anna) et du bleu océan accouplé avec cet environnement dépaysant, aussi bien pour son héroïne que pour le spectateur. Fidèle à la qualité d’animation habituelle du studio qui continue de se peaufiner, et la musique de Takatsugu Muramatsu soutenant aisément cette atmosphère caressant.
Plusieurs plans mise en scène ont l’air d’être pensé comme de véritable tableau animé de la part du cinéaste (le premier plan sur le manoir de Marnie, la traversée nocturne de la baie) qui, par la même occasion, continue de faire ses preuves à la mise en scène dans ce drame intimiste ou la distance entre Anna et son entourage est parfois très minutieusement exprimé par la composition des plans. Un exemple tout bête étant le plan large le long de la baie avec Anna dessinant sur un coin d’herbe et Hisako au fond du cadre peignant un tableau, montrant une jeune adolescente qui se retrouve même coupée d’une personne partageant pourtant une passion commune, incapable d’établir le contact.
D’ailleurs, je pense que je peux qualifier ce film de portrait et tableau pour chaque point qui le constitue. A commencer par le personnage d’Anna, tout ce qu’il y a de plus ordinaire mais pourtant d’extrêmement identifiable pour n’importe quel spectateur. Comme dans Kiki la petite sorcière, en oubliant l’aspect fantastique on obtient là encore une tranche de vie très soigneusement écrite ou au lieu d’une jeune fille en quête d’autonomie et d’indépendance, c’est une adolescente complexée et dont l’attitude est toujours très réaliste que ça soit son ochlophobie, ses remarques désobligeante ou même son manque d’estime de soi.
Une boule de négativité qui trouve une très bonne compensation en la personne de Marnie. En apparence l’incarnation de la perfection pour Anna qui trouve, en elle, son unique confidente et amie, et ce qu’elle a toujours rêvée de devenir. Sans tomber dans l’effluve de bons sentiments envahissant, chacune de leurs échanges sonnent toujours juste. Bien aidé par la sobriété du doublage en VO comme en VF (Emmylou Homs en Marnie comme Adeline Chetail pour Anna), et surtout toutes les deux aussi mignonne l’une que l’autre à travers leur complicité.
Souvenirs de Marnie n’en oublie pas d’accorder de la consistance à ses rôles secondaires : même si certains restent assez fonctionnel dans le récit (Sayaka et Hisako bien que loin d'être dénué de caractère), chacun d’eux contribue à personnaliser et à rendre plus complet le portrait de Marnie et Anna. Chacune voyant en l’autre ce qu’elles auraient voulu être, comme deux tableaux se faisant face et accordant plus d’estime à l’autre qu’à soi-même.
Le fantastique du film servant bien plus le propos qu’elle ne devient un élément dominant sur l’aspect tranche de vie et les dilemmes intimes de son héroïne. Même si il y a quelques séquences pas forcément très limpide
(l’endormissement subite d’Anna qui se réveille ensuite pour voir Marnie l’ayant cherchée partout sur la baie)
, Yonebayashi ne perd jamais le fil et on sent pleinement l’évolution d’Anna en bout de course.
L’auteur d’Arrietty et le petit monde des chapardeurs a le mérite de ne pas insister trop sur le comment de la rencontre entre Marnie et Anna et son aspect fantastique, en laissant au spectateur le choix d’imaginer comment s’est produite la chose :
Marnie est-elle vraiment une manifestation fantasmagorique qui s’est présenté à un cycle important de la vie d’Anna en proie à l’adolescence et à ses tracas intimes ? Ou bien Anna a-t-elle imaginé tout cela à cause de sa solitude en se créant un repère émotionnel à partir du peu de souvenirs enfoui dans sa mémoire (théorie auquel je ne crois pas trop, excepté pour la poupée ressemblant à Marnie. Sachant que la probabilité astronomiquement faible que tout ce qui s’est déroulé, elle ait pu l’imaginer tout en apprenant ensuite que c’était dans le journal intime de Marnie même si sa grand-mère lui en a probablement parlé avant son décès) ?
Pour moi tout cela démontre une amélioration nette de la part de Yonebayashi et d’une patte qui le démarque de Miyazaki et Takahata, preuve que le studio n’a pas besoin de se reposer que sur le savoir faire de ses créateurs. Aussi reposant qu’il est mature et identifiable à travers ses deux héroïnes, loin d’être une production mineure de la part du studio, Souvenirs de Marnie mérite impérativement d’être bien plus reconnu qu’il ne l’a été à sa sortie et ne l’est en ce moment.
Je souhaite à Yonebayashi de poursuivre sur cette lancée, la confirmation viendra peut être avec Mary et la fleur de la sorcière cette année.