Souvenirs de Marnie est le film d'une fin de cycle. En 2013-2014, Le vent se lève et Le conte de la princesse Kaguya ont déjà une odeur anachronique. Le vent se lève est sorti avec l'annonce du départ à la retraite de Miyazaki. Bien que ce ne soit pas la première promesse du genre, cette édition-là semble plus décisive, alors qu'aucun projet futur n'est communiqué par Miyazaki, principale figure des studios Ghibli. Responsables de la massification des longs-métrage anime japonais, ces derniers sont à leur tour face à vide une fois Souvenirs de Marnie sorti.
En effet, dans la foulée le producteur en chef (Toshio Suzuki) confirme l'entrée dans une nouvelle ère mal définie. Les studios lancent en 2014 leur première série, Ronya fille de brigand, sans annoncer d'autres chantiers. Que Souvenirs de Marnie ressemble à un astre mort est d'autant plus sensé. Le film recycle avec délicatesse des figures classiques, arrivées à maturité, en premier lieu celle de l'adolescente repliée sur elle-même, sans racines, déconnectée de son environnement social et (ici) de son substitut de famille. Ses souffrances seules ramènent à un ancrage objectif. S'y ajoute un lot de phobies et de malaises propres aux jeunes lésés du monde présent.
La petite héroïne s'offre facilement à l'identification, sinon par son caractère au moins par son histoire ou par sa condition, tant sur le plan scolaire, social qu'affectif. À cette puissance d'écho s'ajoute un langage subtil, des aptitudes à émouvoir soutenues par un style impressionniste, solaire à sa façon. Malheureusement le manque de challenges pèse lourd et le programme (tiré d'une nouvelle britannique de Joan G.Robinson – When Marnie Was There, 1967) semble ne jamais décoller, ou plutôt a déjà atterrit à destination alors qu'on est encore dans l'expectative. Ce manque de consistance dramatique donne la sensation d'une virtuosité fatiguée et néanmoins galvanisée d'elle-même, éblouie et finalement transie par sa propre essence ; l'innovation et l'audace ne sont pas au programme.
C'est aussi la grande vertu de Marnie, assumée à fond et avec tous les angles morts inévitables. Tout le long s'entretient une légère confusion, du temps surtout et sur un plan plus restreint, de l'espace. Le marais apparaît comme le lieu de passage vers un autre monde, là encore en brouillant les frontières : le symbole, la réalité et la rêverie cohabitent indistinctement. La camarade d'Anna est fantomatique à un degré difficile à évaluer. Loin du foisonnement d'Arrietty, ce nouvel opus d'Hiromasa Yobenayashi manque d'enjeux immédiats et même paradoxalement de mystère, est peut-être 'facile' dans ses effets, mais tutoie des sentiments profonds. C'est un voyage affectif, le retour (en fait, le premier aller) d'une personne vers le noyau dur de son identité. C'est le chant du cygne d'une enfance malheureuse.
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