SOY NERO (Rafi Pitts, ALL/FRA/MEX, 2016, 117min) :
Ce drame contemporain suit les mésaventures de Nero, un jeune homme élevé en Californie mais expulsé des États-Unis car sur sa carte d’identité est notifié : mexicain. Le réalisateur irano-britannique interdit de tournage dans son propre pays, auteur de l’excellent thriller The Hunter en 2011, revient avec une histoire de déracinement qui illustre parfaitement sa situation personnelle. Partant d’une loi mise en place par le Patriot Act de Georges Bush après l’attaque du 11 septembre 2001, visant à expulser tous les migrants illégaux et instaurer un seul recours pour retrouver la nationalité américaine, s’engager deux ans dans l’armée américaine. Le cinéaste s’inspire donc de ces milliers de ces green card soldiers envoyés sur les fronts hostiles du Moyen-Orient sous le dénominatif de la procédure à la terminologie cynique le Dream Act ! Ce récit décliné en trois actes est un projet apatride à la base, par le réalisateur comme indiqué précédemment, puis par le scénariste roumain Razvan Radulescu (4 mois, 3 semaines, 2 jours), le chef opérateur grec et des comédiens mexicains et afro-américains. Un melting polt de rêve (américain ?) pour décliner ce conte des temps modernes sur les déracinés. En guise d’introduction la première scène où un jeune homme raconte une blague dont l’ironie pose d’emblée les jalons du ton général du film. Après cet exergue la caméra vibre sur les traces de Nero en pleine course pour échapper aux Marshall U.S et nous ne quitterons plus ses basques puis ses rangers tout au long du film. Avec un sens du cadre très précis le cinéaste nous offre une œuvre géopolitique complexe où la ligne frontière va servir de dispositif précis au mouvement de la caméra. Clint Eastwood disait « le mode se divise en deux catégories » dans Le Bon, la Brute et le Truand (1966), cinquante ans plus tard Rafi Pitts avec sa caméra scalpel découpe ce monde en deux où certains humains se trouvent soit du bon côté de la barrière ou non avec un dispositif parfois un peu trop démonstratif et figé. Le cinéaste utilise des ellipses pour nous projeter de la frontière mexico-américaine au désert aride du moyen orient. Certaines scènes offrent même des moments de pure poésie convoquant le cinéma d’Elia Suleiman (frontière mexicaine sur la plage servant de filet de beach volley, feu d’artifice qui vient éclairer le passage du mur et l’entrée illégale du héros sur le sol américain). Le scénario binaire décline avec un sens de l’absurde tout le combat du jeune garçon pour obtenir sur son passeport cette nationalité qu’il porte dans son cœur, se sentant un « vrai » américain mais sans le sang. On suit ses multiples péripéties et ce parcours semé d’embûches à bonne distance et sans manichéisme qui emmèneront ce « déraciné » jusqu’à un check-point au milieu du désert du Moyen-Orient où l’ombre de Beckett plane au-dessus de certaines scènes. On pourrait penser aussi à Kafka tant la situation parfois semble un cauchemar éveillé jusqu’au dénouement totalement absurde. Parsemé de références musicales (Notorious B.I.G, Tupac) ou sportive (Lance Armstrong) le réalisateur arbore un ton assez moderne pour nous décrire à nouveau le drame des frontières et nous interpeller de façon assez brillante sur ce destin intime ayant une résonnance bien évidemment universelle et politique. Car les dernières actualités et déclarations de la campagne des élections américaines pour la présidence et le désir de Donal Trump de mettre une frontière continue viennent se confronter à ce récit décalé. Malgré l’intelligence du propos on peut regretter certaines longueurs et par moments des approximations dans le jeu des acteurs mais l’ensemble par sa vigueur et son acuité politique font de ce film une belle réussite. Venez donc, citoyens du monde, explorer la frontière du cinéma engagé, en compagnie de Soy Nero. Symbolique, rigide, déphasé et pertinent !