Syncrétismes et petits oiseaux
Avec Sparrow, son dernier film en date, Johnnie To donne du souffle à son cinéma. Quatre pickpockets amis et frères d'armes s'entêtent à mettre les mains là où il ne faut pas. Un moineau ouvre la voie.
En quelques années, la prolifique filmographie de To nous avait habitué à des enjeux politiques clairs (les ambitieux Election 1 et 2), à des chorégraphies visuelles intenses (Breaking News, Exiled) comme un John Woo libéré de ses contraintes formelles fatigantes ; Tsui-Hark en plus précis et méticuleux. Le combat a toujours été liberté dans son cinéma, il a été lutte pour le pouvoir et il a toujours pu offrir un embranchement, une seconde voie, et devenir une fin en soi. Dans Exiled, la bouche pleine de rire face à la mort, les membres du gang se saoulent et hurlent dans les rues, ils s'immortalisent dans un photomaton pour finalement disparaître. Sparrow déleste tous les enjeux du poids énorme qu'impose les films de gangsters hongkongais : il n'est ni réellement question d'atteindre le sommet, ni même, sur un autre versant, de sauver des vies. Johnnie To et Simon Yam (impeccable et ici empreint d'une humanité terriblement souriante) s'attardent dans les ruelles et dans les restaurants de quartier. Tout le monde se moque de tout le monde, on se promène beaucoup à vélo (et si possible à quatre sur un vélo). Simon Yam prend méticuleusement en photo les ouvertures que la ville propose, les femmes, les sourires. C'est en parlant de la ville et de ceux qui la défendent (la photographier, l'encourager, y utiliser son architecture et ses principes pour voler sans jamais blesser, etc.) que Johnnie To touche un cinéma plus européen, plus âgé également. Tellement moins avilissant.
Pour récupérer le passeport d'une femme et lui rendre ainsi sa liberté les quatre amis s'aventureront là où ils n'ont pas l'habitude de mettre les pieds, parmi les maîtres, les grands, ceux qui sont plus que de simples voleurs. Amusante moquerie devant son cinéma passé Johnnie To se recentre d'autant plus sur l'idée de collectif (quatre figures troubles qui se superposent pour parler d'un même homme ? Pas du tout. Réellement une juxtaposition qui donne naissance à des individualités remarquables, à une amitié en construction), se resserrer pour réussir à régner ; régner uniquement sur son propre destin. Arriver au sommet de son art ; on suivra un ballet de parapluies et de mains prêtes à voler un passeport et les affrontements n'y seront plus létaux. Le mal est fait quand on blesse quelqu'un. On perd le pari et on s'incline. Le mélange d'influences impose la comédie romantique comme au dessus de tout et de tout le monde, comme celle qui est la plus propice à raconter la vie dans les cités d'aujourd'hui, de dire ce que nous devenons. Un paradigme splendidement américain.
Ce qui me semble aujourd'hui être une flamboyante chanson d'Isaac Hayes (ou proche) retentit dans une voiture, trop petite pour contenir tout le charme de Kelly Lin. Il fait nuit. Sa cigarette est tendue, souillée par le rouge à lèvres. La séduction est désormais plus qu'une manière d'opérer. Elle est un rapport avec la nature, le stade d'appréhension globale de tout stimuli extérieurs, une indifférenciation du monde et de ses relations avec lui. Un syncrétisme. Une légère intrusion d'un élément féminin dans notre univers et le relâchement devient grandiose. En physique quantique on parle de syncrétisme comme d'une théorie qui tente d'unir la philosophie idéaliste et matérialiste. « L'idée est d'envisager une réalité profonde dans laquelle l'esprit et la matière sont confondus. » Une réalité dans laquelle les briques parlent d'histoires d'amour.