L’éphèbe de la glèbe à la plèbe.
Tout le monde le sait, l’incursion de Kubrick dans le monde très codé du péplum n’a rien d’un choix personnel : c’est un tremplin à sa carrière et un remplacement de dernière minute pour le projet de Douglas construisant un film à sa gloire.
On pourra néanmoins chercher dans ce film les germes de son esthétique ou les obsessions qui seront les siennes par la suite. La maitrise formelle est évidente, particulièrement dans les plans d’ensemble et la gestion des foules : une caméra qui passe à travers les corps en entrainement, qui survole la crête d’une mine de sel, ou un cadre qui donne à voir les légions romaines en formation avec une grande capacité de persuasion.
Sur la thématique propre au film, les indices d’un attachement à l’aliénation et à la mécanique du corps sont déjà bien présents : du formatage du gladiateur à son combat-spectacle, de la vente des corps à leur crucifixion, Kubrick exploite l’idéologie très prégnante de Trumbo dans l’image elle-même.
La naissance du héros est donc celle d’un homme qui commencera dénué de tout : de liberté, mais aussi de culture, de vie sexuelle et amoureuse ou d’amitié puisqu’il pourra avoir à tuer prochainement ses partenaires. Même s’il souffre des raccourcis et des excès propres à la machine hollywoodienne (une romance d’un lyrisme assez anachronique, et des capacités de stratège pour l’esclave affranchi à faire pâlir l’élite romaine), le parcours du protagoniste est celui de l’affirmation d’un individu par le prisme de la foule grandissante qui l’accompagne. On appelle cela un prophète. Toute l’articulation du scénario fleuve (3h20, et s’il faut admettre au film des longueurs, reconnaissons que la dynamique générale est plutôt cohérente) repose sur ces chevilles entre l’individuel et le collectif. D’un côté, la constitution d’une utopie où l’on s’attarde longuement sur la communauté des esclaves rebelles en pleine diaspora, insistant sur des visages et des scènes du quotidien laborieux que ne renierait pas le Ford des Raisins de la Colère, dans un panorama exhaustif incluant femmes, enfants, vieillards (et même un nain). De l’autre, l’incidence de ce souffle nouveau sur la politique romaine, repère des coulisses corrompues, de l’avènement d’un ordre nouveau qui fera vaciller les fondements politiques. Les échanges entre les nombreux personnages romains fonctionnent et traduisent bien l’enlisement d’une civilisation dans les excès de sa propre puissance. Les acteurs, de ce point de vue, sont tous à la hauteur, de Laughton à Olivier, en passant par Curtis. Jean Simmons peut se contenter d’un regard pour signifier son amour ou son mépris.
Le péplum est donc avant tout une question d’équilibre : concilier tête à tête, romance, violence, destin d’un pays tout entier, épopée collective et destinée individuelle. Spartacus est dans ce registre une véritable réussite, à laquelle on peut joindre la capacité qu’il a à entrer en résonnance avec les enjeux idéologiques d’une autre époque, où la lutte des classes et l’appel à la cohésion de la plèbe prend une autre dimension.