La Beauté du geste
Si l'on devait inclure le troisième volet de l'homme araignée au coeur même du MCU, la dévotion et la dextérité de Raimi envers son protagoniste donnerait une belle leçon aux exécutifs de Marvel...
le 6 mars 2020
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« Et j'ai simplement répondu : OK. »
Cette réponse de Sam Raimi, a priori anodine, s'est montrée pourtant lourde de conséquences pour l'univers du monte-en-l'air qu'il avait jusqu'ici orchestré de main de maître.
Elle faisait suite à une conversation avec son producteur Avi Arad, après l'écriture du scénario d'un troisième volet, encore en gestation :
« Sam, écoute. Je sais que tu es fan de tous ces méchants des années soixante-dix, mais tu dois vraiment incorporer Venom dans ton film. Parce que les fans adorent Venom. Ne sois pas égoïste, arrête de te concentrer sur des vilains que tu connais et que tu aimes ».
Cette réflexion revêt un sens tout particulier. Car si les classiques desideratas d'un producteur sourcilleux sont habituels, même sous couvert de la volonté supposée des fans, ce "souhait" sonne surtout comme une volonté de reprendre la main, de signifier au trublion en costume trois-pièces qu'a été Sam Raimi qu'il va falloir rendre les clés d'un camion que l'on lui a laissé gentiment conduire jusqu'ici.
Est-ce par sentiment de reconnaissance envers ceux qui lui ont permis de matérialiser sa vision fanboy de son personnage fétiche et de changer de statut à Hollywood que Sam a obtempéré ? Pensait-il être assez fort, ou filou, pour ne pas être dépossédé de son bébé ?
Se sentait-il peut être tout simplement pris au piège ?
Toujours est-il que cet épisode montre que finalement, personne n'est ni à l'abri d'un faux pas, ni des pressions de ses financiers, Sam Raimi le premier.
Au point que celui qui marchait sur l'eau dans la gestion des enjeux multiples de ses opus précédents se prend aujourd'hui les pieds dans le tapis. Multiplication des intrigues, des méchants en forme, parfois, de greffe handicapante, Spider-Man 3 s'il apparaît au premier abord riche, souffre en réalité d'un lourd trop plein que même le réalisateur s'avère incapable d'organiser ou de maîtriser.
Tout cela démarrait pourtant très bien. La relation amoureuse entre Peter et M.J. continuait d'évoluer. Harry devenait le nouveau Goblin et Sandman était introduit, comme les précédents villains, en tant que personnage tragique. L'équilibre semblait réédité... Jusqu'à l'apparition des nouveaux personnages, en forme de fan service. Eddie Brock tout d'abord, insipide teigne jouée par un Topher Grace transparent auquel on a immédiatement envie de coller des baffes. Gwen Stacy ensuite. Si Bryce Dallas Howard lui prête ses traits si doux et charmants, force est de constater qu'elle met à mal la déjà fragile vie amoureuse de Peter et Mary Jane et qu'elle ne fait que jouer les utilités fugitives. Gwen Stacy méritait mieux.
Enfin, l'épineux et encombrant symbiote. Mal géré, mal amené, il fait ressortir les pires côtés tant de Spider-Man que de Sam Raimi. Dès que le gloubiboulga où l'expression du côté obscur de Spider-Man s'empare de l'écran, tout apparaît faux et/ou exagéré, comme si le matériau échappait subitement des mains du réalisateur telle une savonnette qui vous saute à la tronche sous la douche. Tobey Maguire semble dès lors sombrer dans l'outrance. En résultent un équilibre rompu, un surlignage du drama, des émotions exacerbées dignes d'un soap opéra et un film qui semble à certains moments être en roue libre, au bord de la sortie de route. Sam Raimi avouera plus tard que ces séquences ont été pour lui les plus éprouvantes et douloureuses à tourner, s'éloignant de la personnalité de « son » Peter Parker.
Raimi et ses producteurs surchargent ainsi inutilement la barque, entre la relation M.J./Spidey, la menace du nouveau bouffon, l'intrigue autour de Sandman et le symbiote, c'est au moins une storyline de trop. C'est dommage car l'arc de Venom , en plus de pouvoir nourrir un quatrième épisode à lui tout seul, faisait évoluer un personnage plein de promesses et de violence mais totalement étranger à la volonté de Sam Raimi de mettre en scène des adversaires humains en face d'un tisseur qui était envisagé sous cet aspect.
Restent cependant quelques très jolies séquences d'action, trop courtes malheureusement, comme les duels avec Sandman ou la dernière confrontation avec Harry. Dommage qu'elles n'arrivent jamais à renouer avec les sommets de l'affrontement avec le Bouffon Vert ou la scène du métro avec le Docteur Octopus. Reste aussi le savoir faire du réalisateur pour shooter des séquences dramatiques d'envergure, à l'instar de celle donnant naissance à Sandman (encore lui) présenté dans toute sa dimension de tragédie et son aspect touchant. Il y a aussi ce joli costume noir sobre et classe qui donne lieu à quelques poses iconiques, par exemple au sommet du clocher, juste avant que le symbiote ne s'empare d'Eddie Brock. Il y aura ensuite ce dîner, concocté sous des influences très Blake Edwards, mettant en scène Bruce Campbell, le complice de toutes les malices de Sam Raimi, plus exécutant que véritable auteur au service de sa vision du personnage.
Mais malgré ses défauts et sa gestion étrangement pataude de l'humain, je ne me résoudrai pourtant pas à considérer Spider-Man 3 comme irrémédiablement raté. En effet, il réussit tout d'abord une première heure dans la lignée des deux premiers épisodes. Il réussit ensuite à divertir tout son soûl et assure le spectacle, servi la plupart du temps par de très bons effets spéciaux. Et ce final démesuré colle quand même sacrément sur son fauteuil. Car Spider-Man 3 est simplement atteint d'un mal assez commun : le poison, le venin qui coule dans les veines de pas mal de suites de grosses productions, le "toujours plus" en forme de trop plein considéré à tort comme le mieux, qui se révèle comme l'ennemi du bien. Même si ce "plus haut, plus fort" est attendu par le spectateur, les pontes de la Columbia, tout comme Sam Raimi, un brin naïf, ont sans doute un peu vite oublié cette constatation.
Behind_the_Mask, qui a peur des araignées.
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Créée
le 29 déc. 2015
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