A posteriori, ça parait pourtant évident : alors qu’on nous inonde d’adaptations de comics depuis plus d’une décennie, la majorité des films ont toujours pris soin de gommer la spécificité de l’œuvre dont ils s’inspirent. A l’exception notable d’Ang Lee dans sa première version de Hulk, Hollywood est toujours tombé dans ce panneau majeur consistant à tabler sur une mise en image qu’on pensait réaliste, dans cette course vaine aux pixels qui voit la créativité se tarir à mesure que les moyens se déploient.
Cette énième version de Spider-Man sur grand écran propose donc un écart dont l’évidence explose d’emblée : un film d’animation qui assumerait son ascendance, et jouerait avec elle. Les trames, les bulles, le jeu sur les cases et les split-screens ponctuent ainsi un récit qui joue autant avec un charme vintage qu’une liberté et un dynamisme tout à fait revigorants, dans une nouvelle aventure qui viserait à rajeunir la franchise : exit Peter Parker, place à un ado métisse (afro/latino, s’il vous plait) qui reprend le chemin laborieux de l’initiation à la haute voltige. Les citations au Spider Man 2 de Sam Raimi sont assez nombreuses, et ce n’est pas regrettable tant il parvenait à humaniser son héros, tandis que les grandes scènes d’action du départ sont revisitées pour un jeu plus comique que grandiloquent, notamment dans ce bel accrochage chaotique au métro aérien.
Toute la première partie est un gigantesque bac à sable gorgé de fun : l’animation est surprenante, l’humour fait mouche, la BO diablement fédératrice (la crème du rap US s’amusant autant que les protagonistes) et la tonalité parodique sur une ligne d’équilibre judicieuse, qui lorgne davantage du côté de l’hommage et de la tendresse que du stupide décalage en vigueur ces dernières années.
Mais Spider-Man ne s’émancipe pas seulement sur le domaine visuel : l’argument du récit tient aussi à son ouverture sur le mutliverse. Le héros voit ainsi la possibilité de former une équipe éphémère qui déclinerait les héros de réalités parallèles, l’occasion d’un nouveau déploiement de la charte graphique avec évocation des mangas, des cartoons, du vintage ou autres évolutions originales.
Dès lors, la fête bat son plein, puisqu’on joue avec la capacité à étonner un spectateur qui croyait connaitre par cœur ce qui est devenu une mythologique universelle : ce retour fréquent à une exposition sur un héros qui se croyait seul – et donc archétypal propose ainsi une réflexion sur les invariants du genre, et honore l’imaginaire infini de scénaristes qui font vivre éternellement les comics.
Ne nous trompons pas : le récit reste le même, avec rapport au père, à l’oncle et à un grand méchant traumatisé par la perte de sa famille. Certes, les compagnons du jeune héros lui font remarquer qu’il devait forcément passer par ces invariants pour se prétendre de leur famille ; mais c’est aussi un confort que de resservir la même recette au spectateur. C’est peut-être la limite d’un film dont l’éclat initial (et ce sur les deux bons tiers du film) s’assagit un peu sous le poids de certains excès : un peu trop d’alter égos à qui on a du mal à donner chair (l’abus de side-kicks, une maladie de plus en plus fréquente, des X-men aux Avengers en passant par le récent Indestructibles 2), et un final graphiquement épuisant et assourdissant. Le retour à une seule réalité, dans laquelle un seul Spider-Man sauverait le monde, semble exiger celui des tristes et immuables lois du blockbuster.
Mais la porte ouverte sur d’autres mondes a bien été ouverte : souhaitons que cette voie parallèle aux mastodontes stériles reste une lucarne de finesse et d’inventivité pour de prochaines récréations cinématographiques.
(7.5/10)