Qui est Steven Spielberg ? Qui est cet homme se cachant derrière ses lunettes, ses yeux enfantins, et son grand sourire ? On ne saura pas répondre à la question, à la fin du film, mais on aura eu quelques réponses (ou piqûres de rappel, pour ceux et celles familiers de l'histoire du cinéaste).
Tous ceux et celles qui se sont un peu penché.e.s sur son oeuvre savent à quel point il a été marqué par le divorce de ses parents, que la séparation en général, vécue par les yeux des enfants, est un, voire LE thème phare de sa filmographie. C'est d'ailleurs formidable de voir ses parents, toujours en vie, réunis aujourd'hui. On sait également à quel point il a toujours l'art de choisir le récit qu'il souhaite raconter au bon moment, en fonction de la grande Histoire et de l'avancée de la technologie, comme s'il sentait les choses.
On passe en revue les grands classiques dont il a accouchés, de manière plus ou moins chronologique, de Duel à Jaws, de Rencontre du troisième type à E.T., de La liste de Schindler à Jurassic Park. On en vient à être surpris par la remémoration de ses exploits. Spielberg réexplique d'où ses films sortent, de quel besoin, de quelle nécessité. Il sait lui-même que ses oeuvres et son travail sont sa propre psychanalyse qu'il offre au public. Ce ne sont que des thèmes (la famille, le judaïsme, l'histoire américaine, etc.) dont il a besoin de traiter pour avancer dans sa vie personnelle, grandir, "devenir adulte" avec une âme d'enfant, dépassé le stade du "nerd".
Le documentaire rappelle également que Spielberg n'a pas toujours été considéré comme un maestro du cinéma comme aujourd'hui. Il a d'abord été pris comme un entertainer, un réalisateur de blockbusters, créateur même de cette tendance estivale rapportant gros. Il a dû prouver ce qu'il avait dans le ventre, commencer à créer des films "sérieux", comme La couleur pourpre ou L'empire du soleil, avant d'enfin mettre tout le monde d'accord en 1993. Sortent alors sur les écrans à quelques mois d'intervalle un film sur la Shoah et un autre sur un parc d'aventure remplis de dinosaures. Comme une prise de position : Spielberg est à la fois le roi du fun et le dernier grand héritier du cinéma classique hollywoodien, sans distinction entre les deux.
C'est tourné de manière classique. Spielberg raconte ses films, face caméra, à côté de tous les prestigieux collaborateurs et amis avec qui il partage ses aventures hollywoodiennes. Les images qu'il a crées sont quasiment les seules composant Spielberg. Ses films, et ce qu'il y met dedans, sont autant le coeur du sujet que lui-même. Étant d'un naturel pudique, il me semble, il reste relativement discret quant à sa vie privée.
Les critiques, commentaires et propos sont élogieux, oui, sur l'homme et ses films, sans verser non plus dans l'hagiographie. Mais, comment ne pas l'être, admiratifs, face à ce cinéaste et cette carrière phénoménale ? Face à son envie toujours présente de raconter des histoires, de la meilleure manière possible ? Face à cette chance ou ce talent d'avoir toujours su s'entourer, de la pré-production au tournage, en passant par le montage et la composition musicale de ses films, d'avoir profité de cette émulation collective et intégré cette bande de cinéastes tous plus connus les uns que les autres : Scorsese, Coppola, De Palma, Lucas ? D'ailleurs, comment est-ce possible que les étoiles se soient si bien alignées pour que ces cinq hommes deviennent copains, amis liés par la même fascination pour le septième art, et aient tous les carrières que nous connaissons ?
C'est un film qu'on regarde avec le sourire et la même envie folle qui meut Steven Spielberg, cette motivation à tourner coûte que coûte et faire en sorte que non seulement le cinéma soit au coeur de sa vie, mais que lui-même soit au coeur de l'histoire du cinéma. On regarde le film en ayant qu'une chose en tête (ou plutôt deux, si on pense aussi à regarder à nouveau quelques uns de ses chef-d'oeuvres), foncer comme cet homme dans cet inconnu qu'est l'art, façonner la matière qui nous compose pour laisser s'exprimer ce qu'on a besoin de dire. C'est un film qui ravive la flamme et communique cette nécessité absolue de créer, sans jalousie ou ambition mégalomane d'être à la hauteur du maître, mais dans ce mouvement vital de faire jaillir ce qui est en nous, non par frivolité ou besoin d'être riche et connu, mais juste parce que c'est ce que nous sommes.