Retraçant l’enquête journalistique au long cours sur la façon dont l’Eglise a étouffé les scandales de pédophilie sur la ville de Boston, Spotlight impressionne avant tout par son sujet. Méticuleux, presque documentaire, le récit déverrouille un à un les mécanismes bien rôdés par l’institution pour faire tomber dans l’oubli ce qu’on peut presque considérer comme un crime de masse tant les prédateurs sont nombreux et leurs victimes murées dans un silence organisé.
Les diverses enquêtes de l’équipe d’investigation mettent ainsi à jour les collusions déjà soupçonnées entre l’Eglise et le pouvoir, qu’on connaissait dans les sphères politiques ou financières, et qui ici s’établissent sur les terres souillées du crime. Entre les témoins qu’on décrédibilise et les tenants du pouvoir intervenant pour museler la presse, de la responsabilité de salir une institution tellement rivée dans les pratiques sociales et confessionnelles aux interruptions médiatiques du 11 septembre, les journalistes partent dans une croisade souvent passionnante.
Force est de constater que c’est là la seule véritable qualité de film : filmé avec une certaine paresse, paré d’une interprétation au diapason, avec une mention spéciale pour Ruffalo qui pense que se gratter la tête ou crisper un demi-sourire fait de lui un candidat idéal au Pullitzer, le film s’efface clairement au profit de son scénario. On est étonné de constater à quel point tout le traitement est linéaire et les dialogues fonctionnels, habitués que nous sommes désormais à la dynamique d’un Sorkin pour rendre palpable la frénésie d’un milieu ou l’intelligence enquêtrice des journalistes. Tout est dans la nuance et la sobriété, à l'image du très bon et peu prolixe personnage de Liev Schreiber, initiateur discret de l'enquête.
Il faut donc accepter cette platitude qui peut finalement s’avérer un choix pertinent : non seulement, le sujet se suffit à lui-même et c’est faire œuvre de bon sens que de le mettre en avant sans le perdre dans des affèteries. Mais cela permet aussi d’éviter bien des attendus sur de tels films, que le scénario désactive de façon presque systématique : nulle surenchère par le thriller, nulle famille menacée ou enfant d’un journaliste impliqué, autant de menaces putassières qu’on voit poindre sans qu’elles puissent s’épanouir.
Choix étonnant, à quelques mois d'écart, entre le film d'auteur rebutant (El Club) et cette enquête au premier degré : un sujet aussi brûlant que la pédophilie des prêtres semble ne pas supposer de concessions.
En contrepoint de la frénésie poseuse et clipesque dont se pare l’époque, Spotlight fait donc office de film à l’ancienne ; si cela suppose certaines concessions du spectateur, c’est le plus souvent tout à son honneur.
(6.5/10)