Où l'on peut prendre le vide pour de la profondeur
Quand on voit une bouse hollywoodienne on ne se prive pas de déverser sa bile sur l'infâme produit qui nous a fait perdre 90 minutes de notre si précieuse vie.
Mais comment admettre qu'on ait lutté 2h43 contre le sommeil sans sourciller devant cet objet cinématographique abstrait et soviétique sans entrer dans le domaine des sciences cognitives?
A lire les critiques dithyrambiques sur ce site il semble qu'il s'agit avant tout d'être perméable aux choses de la foi pour accéder à l'œuvre.
Cependant parmi les adeptes de ce film il y a plusieurs types de spectateurs :
L'intello péremptoire : « Et dire qu'il existe des esprits obtus qui ne comprennent même pas Tarkovski ! ».
Le mystique: « Voici un chemin initiatique qui nous mène vers un absolu où l'homme accède à un degré de conscience supérieure »
Le contemplatif : « Il ne se passe rien et c'est très beau. Et ce n'est que sur la durée que ce rien prend toute sa beauté. C'est un voyage hypnotique et immobile, débarrassé des scories de la narration. »
Le psychologue révolté: « Ce film nous sauve d'un monde trop rationnel en nous ouvrant les chemins de l'introspection dans lesquels chacun trouvera la vraie liberté : celle de l'âme»
L'ésotérique : « L'accès à ce film n'est pas permis à tout le monde, seuls les élus entreverront le chemin de vérité »
Le technicien : « Ce chef d'œuvre prend le contre-pied du conformisme cinématographique en nous offrant un incroyable travelling de 42 minutes détaillant un à un chaque brin d'herbe du terrain vague avec une image au grain si prononcé dans une gamme chromatique spécifique qu'il renforce la force brute du propos »
L'hédoniste frustré : « Ce film nous plonge dans une torpeur sensuelle dont on ne sort pas indemne »
L'incertain : « Oui je me suis endormi et je me suis réveillé sans trop savoir mais les images que j'ai vues continuent de me hanter des mois après alors je peux maintenant l'affirme c'est le signe que ça peut pas être une connerie ce film »
Le géopolitique : « Tarkovski a su déjouer le piège de la censure pour nous livrer une brillante métaphore pressentant la chute de l'empire soviétique »
Le stalinien : « Où il est démontré de manière éclatante que les camarades intoxiqués par la propagande de l'Ouest poursuivent une chimère »
Le métaphysique torturé : « Tarkovski cherche à annihiler toute velléité d'espoir que l'esprit pourrait trouver en une recherche de la vérité, parce que la raison est pour lui un obstacle à la conscience et il démontre ainsi la vacuité du monde rationnel »
L'exégète fou : « Je ne suis pas certain que vous en soyez à la hauteur mais je vais tenter de vous expliquer minutieusement au cours des 2500 pages suivantes que vous n'aviez RIEN compris à Stalker si vous aviez raté le message subliminal qu'Adrei nous délivre dans la mise en page du générique de son film. Personne n'y fait référence mais il est impossible d'appréhender la finesse de l'œuvre (finesse dont pourtant l'auteur feint de se défendre) sans ce nouvel éclairage exigeant que je vous offre. J'accueillerai avec bonheur vos remarques si vous êtes assez intelligents pour qu'elles soient élogieuses... »
En bref, pour les adeptes des chemins spirituels, chacun trouvera dans ce film ce qu'il y cherche tout en ayant la sensation d'appartenir à une élite. Comme on peut faire dire ce que l'on veut à Nostradamus, chacun pourra trouver dans ce film matière à élucubrations infinies et incontestables, comme les docteurs de la foi interprètent leurs livres sacrés.
Pour les autres, les rationalistes et les athées, les bien dans leur peau et les équilibrés, passez votre chemin, parce que même pour rire, 163 minutes c'est très long pour ce film qui est à classer dans la catégorie « Ce n'est pas parce qu'on a rien à dire qu'on doit fermer sa gueule »