La République Galactique vit de sombres heures. Attentats, manipulations d’archives, menace séparatiste et onéreuse armée de clones commandée à son insu ; la voilà confrontée à ce qui semble bien être un vilain complot. Tandis qu’entre frustration sexuelle et problèmes familiaux, Anakin goûte à la volupté du massacre au sabre, le flegmatique Obi-Wan Kenobi, portant barbe et faux-col, mène son enquête sur une planète qui ressemble à la Bretagne, avant de jouer les gladiateurs dans une arène. Et pendant ce temps là, Darth Sidious sirote un verre, tire les ficelles, et ricane (les seigneurs Sith peuvent faire trois choses à la fois). Mais quand donc les Jedi pourront-ils aller se coucher ?


La première constatation qui s’impose à la vision de ce nouvel épisode, c’est que Georges Lucas sait parfaitement où il va. Contrairement à ce que suggérait très fortement sa calamiteuse Menace fantôme, il n’a absolument pas perdu le contrôle de son univers. Alors évidemment, l’alchimie humoristique de la première trilogie n’est toujours pas ressuscitée (faut s’y faire de toutes manières ; Harrisson et Chewbacca ne reviendront pas), l’empilement massif d’effets spéciaux rutilants rend l’ensemble plus tonitruant que jamais, les enjeux politiques se résument à une opposition un peu bébête entre démocratie et autocratie, la romance entre Anakin et Padmé exalte un romantisme de pacotille (ah qu’il est doux de roucouler devant la bûche qui crépite ! Oh oui ! Roulons-nous dans l’herbe !), et la caméra numérique a tendance à offrir une netteté d’image discutable en plan moyen.


Mais il convient aussi de souligner un jeu nettement moins monolithique des acteurs (le jeune Christensen joue Anakin avec une certaine tension, plutôt bienvenue), un montage agréablement dynamique au service d’un scénario mieux construit, des ambiances très prenantes (Coruscant, Géonosis et surtout l’extraordinaire Kamino), ainsi qu’un mixage plus inventif et nettement moins tapageur. Il est effectivement agréable de constater que John Williams a plutôt mis la bride sur ses vilains penchants, dont le déploiement à outrance dans Episode I échaudait passablement l’ouïe la mieux disposée. Le travail sur les timbres prédomine sur la recherche de puissance harmonique, et s’enrichit ici d’un travail sur le son assez intéressant (par exemple, une utilisation, toute nouvelle à notre connaissance dans cet univers, de sonorités métalliques et agressives - une guitare électrique( ?)- lors de la poursuite sur Coruscant, mais aussi lors des explosions soniques dans le champs d’astéroïdes). Williams entrecroise avec bonheur ces nouvelles ambiances avec les thèmes de le tétralogie existante (Luke et Leïa, Duel of fates, Marche impériale, Thème de Yoda, Thème de l’Empereur...) dans un grand brassage dont la légèreté ludique est assez plaisante (cette circulation de la matière musicale entre les épisodes joue avec la mémoire du spectateur et la mythologie interne de l’oeuvre).


A ceux qui se désolent de ne pas retrouver dans la nouvelle trilogie les joies de l’ancienne, nous ferons remarquer qu’il serait déraisonnable de demander à Lucas de recréer à l’identique l’impact qu’il a pu avoir sur des yeux d’enfant (ou d’ado). Cet épisode n’est objectivement pas moins bon que les trois anciens, seulement nous ne sommes tout simplement plus aussi naïfs. Une fois cela admis sereinement, il est des points dans cet Episode II qui appellent d’autres plaisirs.


Le plus évident d’entre eux est le raccordement opéré avec la chronologie déjà mise en place dans cet univers. L’agencement progressif de toutes les pistes narratives, plus que les péripéties en elles-mêmes, ajoute là encore une dimension ludique au film, dans le sens où il invite le spectateur à la reconstruction et à la supputation, par le prisme de sa connaissance intime de la saga (ce que ne permettait pas l’Episode I, très faiblement raccordé aux autres films existants). Moins flagrant, mais plus intéressant encore, est l’évolution de l’esthétique lucasienne. Ce qui faisait La menace fantôme si faible dans ses combats au sabre-laser découlait directement des parti-pris que le cinéaste s’était fixé vingt ans auparavant, avec le premier coup de manivelle de la saga. Ces choix de mise en scène privilégiant le plan par rapport à la scène imposait une composition très statique du cadre (hormis évidemment lors des combats spatiaux). Seulement, McTiernan, Tsui Hark & Cie, Matrix, pour ne citer qu’eux, sont passés par là et cette façon de filmer, acceptable pour les années 80, devient d’une mollesse anachronique en 2000. En décidant pour son Episode I de ne pas briser l’homogénéité formelle de son oeuvre en perpétuant sa mise en scène frileuse (on pourrait aussi dire son absence de mise en scène), Lucas a eu beau dynamiser les duels (en y introduisant une diversification des techniques de combat via les arts martiaux et une nouvelle arme comme le double sabre-laser), tout reste empesé et prisonnier d’un certain rabâchage. Mais n’étant point sot, il a apparemment pris acte de l’échec artistique de l’Episode I, et de l’impasse qui le guettait.


D’une manière générale, il fait ici le pas qu’il n’avait pas osé faire lors de son précédent film, en multipliant les innovations (par rapport à ce qu’il a jusqu’ici entrepris dans la saga s’entend !). Ainsi, il varie grandement les angles de prise de vue et rend la caméra discrètement plus mobile : plans saisis en légère contre-plongée ou à ras du sol, caméra portée, nombreux travellings, zoom et même caméra subjective (dans le night-club à Coruscant) ! Le dynamisme de cet épisode découle pour beaucoup de ces choix de réalisation.


D’un point de vue plus spécifique, Lucas a pris conscience de la nécessité de vraiment renouveler esthétiquement le duel au sabre-laser, et c’est avec deux traitements différents qu’il y parvient. D’un côté il se laisse aller avec bonheur à un minimalisme proche de l’abstraction (en filmant en plan rapproché Anakin et Dooku dans le noir, éclairés par la lueur de leur seul sabre, il ne rend plus compréhensible l’enchaînement des passes chorégraphiées, tout le combat se réduisant à un entrecroisement confus d’éclats lumineux). A l’opposé, il pousse jusqu’à sa limite (on est pas loin du grotesque) la logique fun qui régit les duels au sabre (la rapidité et la complexité extrêmes des passes de Yoda dans son combat avec Dooku). Notons que cette réussite purement visuelle ne trouve pas d’écho dans le traitement des Jedi, qui s’avère assez décevant, alors que c’est un autre motif fondamental de l’oeuvre.


Le troisième point qui attire notre attention réside dans l’apparition complètement nouvelle, et de grande importance dans l’univers de Star Wars (parce qu’elle modifie en profondeur et très subtilement la perception que nous en aurons désormais), du régime des images.


L’ancienne trilogie nous présentait cet univers comme un monde à la fois ouvert (les facilités de déplacement d’un lieu à l’autre avec l’hyperespace) et clos (l’absence apparemment généralisée d’images implique une désinformation et donc une ignorance de l’autre. Et pourtant, tous les personnages semblaient familiarisés avec des environnements et espèces très diverses, ce qui est profondément irréaliste et incohérent).


Cette étrange dualité semblait suggérer que l’aisance technologique rendait toute image superflue (alors que quand on ne peut pas se déplacer, on reste en contact avec le monde via les médias). Le dispositif de l’ancienne trilogie pouvait donc se lire comme une perpétuelle invitation au voyage (aller voir de soi même). D’autre part, Lucas, qui cherchait à élaborer une science-fantasy mythique, a certainement volontairement évacué les éléments techniques trop proches de son époque (sauf qu’il a fait les choses à moitié, puisque les plans sur les consoles de contrôle de l’Etoile Noire sont délicieusement seventies). Exit les écrans vidéo, vive la vitesse ultraluminique et l’antigravité donc !


La toute-puissance du régime des images a finalement rattrapé Star Wars, et ce, dès Episode I en fait, où il intervenait lors de la retransmission sur mini-écrans de la course de pods. Il trouve ici une place plus affirmée (dans le night-club notamment, en soulevant une nouvelle fois la dimension du jeu, mais aussi dans les panneaux publicitaires directement hérités de Blade Runner) et ajoute profondeur et vraisemblance à l’univers de Star Wars (la représentation de la bibliothèque suggère enfin l’idée d’un savoir accumulé, et vient contrebalancer les connaissances encyclopédiques qui semblaient innées chez les héros de l’ancienne trilogie).


Georges Lucas a su insuffler des éléments véritablement neufs, tant sur le plan cinématographique que de l’imaginaire, et faire de L’Attaque des clones une vraie réussite dans le cadre de sa saga. Pour le reste, un détail surprenant résume à merveille la nature du film.


Lors des explosions soniques dans le champs d’astéroïdes, l’image devient muette pendant une seconde ou deux. 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick avait su accorder une véritable place au silence, dont il se nourrissait de manière majestueuse. Ici, cela frappe comme une incongruité tant l’image devient subitement insignifiante. Ce fugace passage muet renvoie avec fulgurance Star Wars à ce qu’il est fondamentalement : un gigantesque son et lumière déréalisé, fait de surenchère sonore et visuelle pour en imposer au vulgaire.


Doit-on voir, à l’aune des efforts de renouvellement ci-dessus décrits, une réflexion distanciée de Lucas sur son oeuvre dans ce choix esthétique ? Connaissant le caractère suffisant du bonhomme, c’est fort peu probable, d’autant plus que le son recouvre aussitôt ses droits avec plus de fracas que jamais. The show must go on, évidemment.

ordalie
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le 1 févr. 2018

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