Palpatine c'est un peu le parrain qui prend sous son aile un jeune orphelin, talenteux, promis à de grandes choses, mais naif et émotivement instable. Ca pourrait se passer en Sicile ou dans le New-York des années 20 ou dans une ville capitaliste gangrénée par la pègre que ça marcherait quand même. Ajoutez y du mysticisme : Anakin, l'élu, christique, cheveux long, et vous obtenez une histoire universalisable à l'infinie, comme toutes celles de Lucas.
L'épisode III de la prélogie est peut-être le seul épisode à avoir un peu d'ampleur et de souffle. Il n'a plus le temps de se perdre dans d'inutiles scènes d'actions, même s'il y en a quelques unes. Il doit aller à l'essentiel, combler le vide entre les deux trilogies. La boucle est bouclée et l'inexorable basculement d'Anakin vers le côté obscur serre un peu le coeur. La fameuse scène de l'ordre 66 est très forte et apparait comme le point d'acmé de toute la saga, même si cet ordre est rendu plus caduque par la myriade de suites à la saga et d'exceptions à la règle hélas.
Commençant par une bataille spatiale dantesque et enchainants les péripéties l'épisode III ne s'arrête que dans quelques rares scènes décisives comme celles où Palpatine parle d'une légende sith à Anakin, dans l'opéra de Coruscant, scène assez unique dans l'univers et extrêmement sombre. Car ce qui caractérise l'épisode, c'est sa noirceur. Peu d'humour, beaucoup de personnages qui meurent, de Mace Windu à Padmé, le film est moins enfantin, immédiatement plus intéressant.
Comme les autres films de la prélogie il a des défauts : les décors en image de synthèse trop nombreux, des dialogues ridicules par instants, une direction d'acteurs désastreuse - la romance Anakin/Padmé étant aussi plate qu'une vulgaire sitcom - mais comme le film ne s'attarde jamais trop et que dans les rares moments où il le fait, notamment avec Ian McDiarmid, excellent et Ewan McGregor, ça passe. Les défauts dans les personnages sont nombreux : beaucoup sont expédiés : que ce soit par exemple Grievous, qui ne sert à rien et qui agaçe, que ce soit Dooku, tué en un rien de temps, et j'en passe. En revanche, joli traitement de Palpatine, Yoda, Mace Windu par exemple. Mais c'est inégal. On ajoutera encore le défaut de la surenchère, Grievous n'ayant plus deux mais quatre sabres ! Exemple typique du trop. La basculement du côté obscur d'Anakin est aussi expédié. En un instant il bascule. Il voulait tuer Palpatine deux heures avant et là il l'appelle maître. Ca n'a pas de sens. Malgré tout, son basculement provoque un pincement au coeur, il fonctionne. Pire, le plan de Palpatine fonctionne si facilement.. C'en est assez grossier. Tous les jedis meurent en 5 minutes. Il ne faut pas non plus s'attarder sur le très faible nombre de protagonistes d'un si grand chamboulement dans un univers aussi vaste. Seule la scène du massacre dans le temple exprime l'aspect terrifiant de ce coup d'état. Bien entendu, tout cela rappelle l'histoire, la nôtre, et c'est pour ça que ça fonctionne, par cette universalisme propre au style de Lucas.
La musique prend des airs beaucoup plus tragiques pour notre plus grand plaisir. La partition de John Williams est encore une fois superbe, beaucoup plus noire là encore et établie des ponts entre les deux trilogies.
Sur le plan de la mise en scène, si Lucas n'est pas révolutionnaire, il se lâche un peu plus : la scène de bataille spatiale au début est impressionnante, la double confrontation Anakin/Obi Wan, Yoda/Palpatine est jouissive, surtout lorsque le Sénat devient l'objet d'un duel épique entre les deux derniers, non sans rappeler les trahisons et les coups de force dans le sénat romain antique. Le lien entre la naissance de Dark Vador, avec son masque et celle de ses deux enfants suivie de la mort de Padmé et de la mort, symbolique, d'Anakin, est assez fort et fonctionne bien dans son parallélisme. Les deux scènes finales, avec le double soleil de Tatooine et Leia sur Alderaan font inexorablement penser à l'épisode IV et assurent une belle transition. Je ne parle pas non plus des décors et des scènes de batailles toujours plus nombreuses et superbes. La planète de lave, Mustafar, a le mérite d'être quelque chose de nouveau et correspond parfaitement au caractère sombre de l'épisode. La base finale où naissent les jumeaux Skywalker sur un astéroide présente également quelque chose de neuf.
Oui, cet épisode fonctionne contrairement aux deux premiers. Plus sombre, plus abouti, plus intéressant, il relève le niveau global de la prélogie bien qu'il en garde les défauts. Sa dramaturgie fonctionne, le fait qu'il amène à l'épisode IV permet enfin de boucler la boucle et de faire que l'aura de la première trilogie illumine La Revanche des Sith. Reste qu'Anakin apparait comme un sale gosse immature durant cette prélogie, loin de la grandeur froide de Dark Vador, que Kylo Ren semble chercher dans l'épisode VII à concurrencer sur le plan de susceptibilité et de l'instabilité émotionnelle.