Star Tour - Episode IX
Ça y est. C’est fini. Le verdict est définitivement tombé désormais. Le côté obscur de la force l’a emporté. L’Empire Disney a triomphé. Certes c’était attendu. C’était écrit. Le retour de J. J...
le 18 déc. 2019
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[Spoil] En définitive, et assez ironiquement, tout ce qui est déplaisant est peut-être dans ce Star Wars ce qu’il y a de plus remarquable : c’est l’apothéose, qui confine à l’absurde, où le réalisateur brûle, en Néron moderne, la Rome décadente. Rey est la petite fille de Palpatine ! les morts continuent de jouer à l’écran ! des croiseurs « starkiller » sont dupliqués à volonté avec leur équipage ! il y a un public bizarre formé de capuches ! tout le monde apparaît et disparait ! la musique épique devient la norme, comme l’action, les blagues, les caméos, les gadgets, les clins d’œil aux fans, etc. ; au fond, on se fiche bien de l’histoire, qui consiste en un certain nombre d’épreuves tout au long d’une course d’orientation où les balises sont un peu codées, l’heure est à la débauche de moyens : on ne doit rien garder en réserve quand c’est la fin. Voilà à quoi ressemblent, visuellement et symboliquement, ces flammes d’un genre nouveau où brûle une culture. C’est toujours beau de voir le caractère destructeur à l’œuvre, mais ce n’est beau qu’une fois, et c’est tout de même dommage, car il faisait bon vivre dans Rome.
Il était raisonnable pour une critique d’attendre la clôture de la trilogie, il serait déraisonnable d’attendre encore. Néanmoins, le dernier épisode de la saga Star Wars fait déjà assez parler de lui, et si c’était seulement pour redire quelque chose qu’on peut d’ores et déjà lire, il vaudrait mieux se garder d’ajouter du discours au discours. Ainsi, j’espère dire ici des choses nouvelles, avec un point de vue que je n’ai pas encore lu. Les remarques qui vont suivre pourraient d’ailleurs concerner bien d’autres films que ce seul Star Wars.
J’avoue que le spoil est le cadet de mes soucis ; ceux qui le craignent devraient peut-être arrêter de lire à cette ligne.
Les critiques que j’ai lues sur internet sont souvent intéressantes, mais elles sont pour la plupart réductibles à un débat « pour ou contre » à propos de la nouvelle trilogie ou du film lui-même. On lit aussi beaucoup d’analyses confuses, qui parlent de Disney, de Lucasfilm, d’institutions qui n’ont pas grand-chose à faire dans une critique, de commentaires des acteurs ou de l’univers étendu… Tout cela me semble souvent occulter un discours qui serait spécifiquement sur l’œuvre. Mon postulat de départ, pour moi indiscutable, est qu’il est bon que Star Wars trouve une suite, qu’il est toujours bon de faire revivre quelque œuvre que l’histoire culturelle a sacralisé, et que rien ne rend mieux hommage à la création qu’une nouvelle création qui fait fond sur la première. C’est donc à chaque fois empreint de la bienveillance de celui qui veut aimer que suis allé voir chaque nouveau film.
Beaucoup de critiques analysent soigneusement les arcs narratifs, les personnages, l’image… en bref, beaucoup de critiques ont très bien analysé l’œuvre en tant que film singulier. Je me propose de l’analyser en tant que moment culturel. La particularité de Star Wars, c’est en effet que chaque œuvre qui s’inscrit dans la trame de l’histoire principale est un moment d’une œuvre plus vaste. En un sens, le dernier film (Star Wars VIII) est une œuvre, close sur elle-même, avec ses qualités et ses défauts, que l’on juge comme tout autre film ; en un autre sens, tout Star Wars est aussi une œuvre ouverte sur un univers culturel qui tire son autorité de la saga principale, saga dont le dernier film est le dernier moment. Il y a beaucoup d’autres exemples de produits culturels qui échappent ainsi à leurs créateurs, mais peu qui le soient d’une façon aussi paradigmatique que Star Wars. À mes yeux, c’est donc à l’aune de l’œuvre dont il fait partie intégrante que chaque film Star Wars donne toute sa richesse.
C’est d’abord dans l’unité de la dernière trilogie qu’on peut regarder L’Ascension de Skywalker. Ici aussi on lit beaucoup de choses (« il est bon parce qu’il est différent du précédent », « son défaut, c’est le précédent », « au fond ce sont tous des remakes »…) qui ont le mérite de remarquer une chose : la rupture avec ce qui précède. Je ne suis pas vraiment au fait des relations entre les différents réalisateurs, des projets annulés ou de la responsabilité de tel ou tel studio, et cela ne m’importe pas. Il n’est pas nécessaire de suivre en détail les péripéties extérieures à la saga pour les reconnaître dans les films. Ainsi, ce dernier film est sans aucun doute un film très ambitieux, au point qu’on croirait voir deux films en un ; d’un avis assez général, il faut sauver un navire qui prend l’eau ou montrer qu’il ne prend pas l’eau, et, surtout, comble de la responsabilité, il faut finir.
Pourtant, loin de donner à voir une nouvelle trilogie avec son unité, loin également de faire rayonner les derniers films dans l’ensemble de la saga, on se retrouve avec des histoires presque indépendantes, avec peu ou prou les mêmes personnages et le même univers. « Peu ou prou », parce qu’on supprime, ajoute ou change le traitement de personnages et d’éléments à l’envie, au point que chaque film passe pour une tentative de rupture avec le précédent. Que le second apporte un lot important de nouveauté, on l’accepte, et même ou le demande, c’est la structure même d’une trilogie dans une saga qui l’exige. Assez schématiquement, si l’on reconnaît que le premier doit l’inscrire dans la saga, le second doit innover un minimum ; en ce sens, la plus grande responsabilité du troisième est d’être l’unité de tout cela, d’être l’achèvement de ce que le second laissait ouvert. Moins schématiquement, on reconnaîtra toutefois que chaque film devrait, à terme, être reconnu comme participant de la saga, comme innovant par rapport à la saga, et comme contribuant à l’unité de toute la saga. Ce qui m’intrigue donc, c’est que chaque film marque ici une rupture, ou, plus précisément, ce qui m’interpelle vraiment, c’est que ce troisième film marque une rupture avec le second.
Le casque de Kylo Ren est un parfait signe de ce processus : porté puis détruit puis réparé et reporté, avec mise en scène chaque fois de sa destruction et de sa réparation. Chacun trouvera sans peine dans d’autres critiques comment ce dernier film semble nier les choix du précédent, nul besoin de rallonger ce propos pour l’illustrer. L’obsession de la nouveauté touche jusqu’à la structure narrative de l’histoire qui se croit obligée de raconter deux films en un parce qu’« on a perdu du temps » (on retrouve cette formule dans de nombreuses critiques). Quelle triste façon de voir les choses quand sait que la sublimation des échecs particuliers dans l’œuvre prise dans son entier est presque une norme dans Star Wars. À l’image de la présence de Jar-Jar, défaut manifeste du premier film de la prélogie, qui devient un personnage tragique lorsqu’on le voit proposer les pleins pouvoirs au chancelier ; ou encore de Dark Vador qui devient le père de Luke entre les deux premiers Star Wars (IV et V). C’est donc seulement L’Ascension de Skywalker qui remet en cause définitivement l’unité de la trilogie, en refusant d’être uni à Les Derniers Jedi comme le II au III et le V au VI. On ne demandait pas à la nouvelle trilogie de contribuer autant que la prélogie à la saga (c’est tout de même plus facile pour une prélogie : la fin est donnée), mais on lui demandait au moins d’être une nouvelle trilogie, ce qu’elle n’est pas.
Le problème n’est pas qu’il y ait un ou deux mauvais films (de mon point de vue, le II et le VI ne sont pas en eux-mêmes de « bons films ») ; le problème c’est qu’un film qui remet en cause l’unité de la saga ébranle son autorité. C’est une chose d’être un mauvais film, d’avoir des défauts, c’en est une autre d’être un défaut. Il n’est pas vraiment question de savoir si Les Derniers Jedi est un moins bon film que L’Ascension de Skywalker, mais de reconnaître dans ce dernier que la destruction est assumée. Peut-être n’est-ce pas tout a fait intentionnel de la part du réalisateur, mais il y a là un certain cynisme. On y assiste au terme d’un crescendo poussé à un tel sommet que j’ai du mal à ne pas y voir une allégorie de l’autodestruction. Pensons seulement à l’intensité des musiques ou de l’action, aux scènes épiques successives, au retour des personnages disparus, à ce combat le plus ultime des plus méchants que jamais, des flottes galactiques plus nombreuses que jamais, et de la force plus forte que jamais. Beaucoup ont remarqué que le film est épuisant, et c’en est au point que je soupçonne Abrams de s’être dit que son prédécesseur ayant déjà tout gâché, autant aller jusqu’au bout.
En définitive, et assez ironiquement, tout ce qui est déplaisant est peut-être dans ce Star Wars ce qu’il y a de plus remarquable : c’est l’apothéose, qui confine à l’absurde, où le réalisateur brûle, en Néron moderne, la Rome décadente. Rey est la petite fille de Palpatine ! les morts continuent de jouer à l’écran ! des croiseurs « starkiller » sont dupliqués à volonté avec leur équipage ! il y a un public bizarre formé de capuches ! tout le monde apparaît et disparait ! la musique épique devient la norme, comme l’action, les blagues, les caméos, les gadgets, les clins d’œil aux fans, etc. ; au fond, on se fiche bien de l’histoire, qui consiste en un certain nombre d’épreuves tout au long d’une course d’orientation où les balises sont un peu codées, l’heure est à la débauche de moyens : on ne doit rien garder en réserve quand c’est la fin. Voilà à quoi ressemblent, visuellement et symboliquement, ces flammes d’un genre nouveau où brûle une culture. C’est toujours beau de voir le caractère destructeur à l’œuvre, mais ce n’est beau qu’une fois, et c’est tout de même dommage, car il faisait bon vivre dans Rome.
Tout cela se ressent donc bien dans le contenu du film qui met en œuvre des moyens énormes pour un résultat sans commune mesure. L’intensité apparente, de surface, est en quelque sorte inversement proportionnelle à l’intensité réelle, profonde, celle qui dure après le visionnage. Les évènements n’ont pas cette consistante tragique qui va au-delà du film, rayonne sur toute la saga et même au-delà. On est loin, en vrac, du « je suis ton père », de la rencontre de Anakin et Padmé, de l’achat de R2D2 par Luke, de la trahison de Lando, de la fabrication de C3PO, de la mort de l’amiral Ackbar, de l’assassinat des jeunes jedi par Anakin, ou même, pour rendre à César ce qui est à César, dans Les Derniers Jedi, de la destruction méthodique des vaisseaux, de l'échec de Poe ou de la responsabilité de Luke dans l’état de Kylo Ren. Je pense que ceux qui regardent Star Wars comme moi auront compris ce qu’est cette « consistance tragique ». Or, comme s’il fallait finir pour ne jamais recommencer, ni même seulement revoir, L’Ascension de Skywalker semble destiné à une consommation unique. Vacuité de la musique, des mots, des évènements, des symboles… toute intensité dramatique est feinte. Paradoxalement, alors que le sort de la galaxie tout entière est en jeu, rien n’est plus grave. À vrai dire, si ce n’était pas vraiment un épisode de la saga, j’aurais sincèrement ri de certains effets comiques, presque parodiques, où le « tu es une Palpatine » fait écho au « je suis ton père » et le ciel des Sith où l’on clone même les destroyers « starkiller » (c’est-à-dire des étoiles de la mort) fait écho à l’armée des clones. Mais c’est là peut-être trop accorder au cynisme.
Plus sérieusement, et la remarque qui suit est valable pour de nombreux films, il me semble que le réalisateur s’est ici pris pour plus grand que l’œuvre à laquelle il contribue. À la responsabilité d’un héritier, dépositaire d’une culture, s’est substituée l’hubris du créateur. À grands traits, on peut dire que le VII (Le Réveil de la force) se contentait d’enterrer l’héritage pour le conserver, que le VIII (Les Derniers Jedis) s'est efforcé --- péniblement --- de le faire fructifier, mais que le IX (L’Ascension de Skywalker) l'a tout purement et simplement dilapidé. Plus largement, et ces derniers mots parleront à ceux qui ont l’habitude de rester jusqu’au bout des crédits d’un film, tout réalisateur est dépositaire du travail de tous les contributeurs au film. La longueur des crédits de L'Ascension de Skywalker doit nous rappeler que n’est pas tous les jours qu’on à l’occasion de faire un Star Wars en rassemblant autant de gens compétents dans un seul but ; ici, manifestement, il y a quelque chose de gâché. Je n'avancerai jamais ce qu’auraient dû être Star Wars VII, VIII, et IX ; j’ai seulement la certitude intime, à terme, qu’ils ne sont pas ce qu’ils auraient pu être. Personnellement, je regarde aujourd’hui avec nostalgie le sentiment de bienveillance heureuse que j’avais hier en allant voir le film où tout était encore possible. Aussi défectueux soient les deux autres volets de la dernière trilogie, je me plais encore à imaginer la saga se finissant sur le VIII, qui, au moins, n’en était pas encore l'échec.
P.S. Je ne pense pas que la note en étoiles que j'accorde signifie grand chose.
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le 19 déc. 2019
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