Spoiler alert
Ce film était attendu, peut-être le film le plus attendu de la décennie. Pourtant, rien ne disait il y a encore quelques mois qu'un nouvel opus de la saga Star Wars verrait le jour puis, un jour Disney racheta la franchise pour la modique somme de 4 milliard de dollars et relança une série de films. On pouvait se dire très justement qu'un nouvel épisode tomberait comme un cheveu sur la soupe, et le pire était à craindre, achevant d'enfoncer dans les abysses une saga entâchée par une prélogie médiocre.
Mais voilà, il y a quelque chose que Star Wars a et que les autres non pas, un supplément d'âme. Ce n'est pas qu'un film, c'est un univers et lorsque je suis arrivé au cinéma, aussi fébrile qu'un gosse de 8 ans je n'étais pas le seul à être dans tous mes états : des sabres lasers partout, des costumes, une file d'attente interminable. C'est peut-être le seul film où le phénomène est aussi visible et le public aussi large, des tout petits aux plus grands. Et puis, après un show de quelques stormtroopers, installés là pour pallier à l'attente et faire rêver, le générique arrive, les applaudissements, les hurlements, l'hystérie s'empare de la salle. Le film démarre et comme une madeleine de Proust, tout recommence, intacte. C'est génial.
A la baguette, la formidable machine Disney dont on pouvait tout craindre mais surtout JJ Abrams et un casting incroyable sans oublier John Williams. Malgré l'intrigue simpliste, mais pas plus que la trilogie originale, le scénario semble suivre les traces du premier épisode (l'épisode 4) mais en le prenant à contre-pied, son reflet inversé en quelque sorte. L'exemple révélateur de cela : Kylo Ren, fils de Han et Leia, qui est tiraillé entre le mal et le bien. Il remet en cause son côté obscur sans y parvenir, ce qui est assez nouveau. Plus encore, c'est l'univers qui change : les rebelles se battaient contre un empire tout puissant et à présent les partisans de l'empire veulent renverser la jeune République dominante tandis que les anciens rebelles sont devenus des résistants face à cette menace. Encore une trace de cette inversion, le destin de Finn, un stormtrooper déserteur qui rejoint le camp du bien. Le mal se complexifie, le mal n'est plus absolu avec JJ Abrams. C'est assez astucieux et intéressant.
Le film reprend les codes de la première saga à merveille, beaucoup d'animatroniques, de décors réels, de costumes - ce qui est jouissif, l'univers est fourmilliant allant jusqu'à reproduire une cantina avec sa faune extraterrestre étrange et déroutante. L'histoire est beaucoup plus intimiste que celle de la seconde trilogie : pas ici d'enjeux politiques intersidéraux mais davantage de destinées individuelles. Les dialogues sont bien mieux amenés également : Han Solo fait rire, avec des répliques et des punchlines excellentes, dans l'esprit des premiers épisodes. A cela JJ Abrams ajoute une dynamique considérable à l'ensemble, signant un film rythmé, halletant, où il n'y a aucun temps mort, et qui distille des clins d'oeils, des allusions permanentes à l'univers de Star Wars qu'il regarde avec des yeux d'enfants. Star Wars est sauve, l'univers n'est pas dénaturé, au contraire il prend une nouvelle dimension. Abrams est ingénieux. Il utilise par exemple les effets de contrastes, contre-plongées, dézoomage pour montrer un gigantisme, des travelling jouissifs, des caméras mobiles : le film est à la fois moderne et nostalgique. Star Wars a peut-être enfin une mise en scène à la hauteur de son mythe et de son époque, bien loin de l'académisme de Georges Lucas dont la patte cependant demeure, par l'utilisation de transitions old-school et de tous les codes que l'on connaît.
Le casting est remarquable : John Boyega crève l'écran avec ses maladresses et sa tchatch, Daisy Ridley dégage un vrai charisme et l'idée de faire d'une femme l'héroine est plus que bienvenue, Oscar Isaac a un rôle moins développé, plus difficile à juger, Adams Driver est déroutant, par son rôle, tortueux et en même temps à peine développé. Je trouve que son personnage a un potentiel énorme, mais gâché par un peu de précipitation. Le problème réside dans l'ambivalence de son rôle : à la fois cruel et colérique, voire fourbe mais en même temps capricieux et fragile. On découvre tôt ses failles, à l'inverse de Dark Vador. Le fait qu'on apprennne très vite son rôle dans la saga familiale des Skywalker et que l'on découvre son visage casse un peu le personnage. Il passe de sans pitié à adolescent déchiré. Son personnage, beaucoup plus nuancé souffre forcément de la comparaison mais il faut s'en garder. Dark Vador est indétrônable dans le panthéon des grands méchants, et même Disney ne parviendra pas à le remplacer. Les anciens acteurs font mouche : à commencer par Harrison Ford vraiment présent tout le long du film et on peut le dire encore une fois le meilleur personnage de la saga, gouailleur, combinard, vaurien, magouilleur, comme on l'a toujours aimé. Par contre, le tuer, on le sentait venir gros comme une maison pourtant, est un pari vraiment osé, tant il porte ce premier épisode. La suite sans lui perdra peut-être de la saveur. Leia est plus discrète. Quant à Luke, la scène finale de son apparition est très bien amenée, et le poids des ans lui confère une sagesse à la Obi-Wan.
Le film souffre aussi d'une certaine précipitation. Particulièrement dense, il nécessite au moins un revisionnage pour livrer ses secrets. Si le début est remarquable de bout en bout, la fin est à mon goût trop rapide, si bien que des scènes clés du film défilent à tout allure et que des réponses restent en suspens. Il y a un côté "série" en effet dans ce film, les destinées et les intentions de certains personnages restant sombres. Les deux personnages les plus intriguants sont Rey dont on ignore à peu près tout à la fin du film et le grand méchant Snoke, incarné par Andy Serkis et à l'apparence peu flatteuse. Il y a aussi des facilités dans ce film : la prise de risque est minime mais l'inverse aurait sans doute déplu aux puristes ou aux fans de la saga. Quelque part c'est le compromis le plus juste. Il y a quelques ratés : C3PO apparait mais ne sert à rien, Snoke est un peu pathétique et laid, Kylo Ren est à la fois un superbe personnage mais aussi un gamin capricieux et boutonneux, assez insupportable et peu crédible. Il y a des scènes inutiles, comme celle où Han Solo affronte des créatures immondes et deux bandes de voyous, celle où on nous présente Gwendoline Christie en Capitaine Phasma, badass à l'extrême alors que ce personnage est ridiculisé par les héros quelques minutes plus tard. La musique est omniprésente, comme dans tout bon Star Wars mais est moins mémorable. Elle colle davantage à l'action. Mais entendre le thème de Leia et celui de la Force résonner dans la salle de cinéma est toujours aussi jouissif. De plus, elle éclaire sur le rôle des personnages. Ainsi, le thème de Snoke est très proche de celui de Palpatine et plus encore des siths. Le thème de Kylo Ren est torturé, loin d'être martial mais triste et cela donne quelques indices quand on connait un peu la musique de John Williams sur le futur des personnages. Le thème de Rey, lui, se rapproche parfois de celui de Luke, ce qui évidemment va alimenter les plus folles rumeurs dans les mois à venir.
Le fan service est là bien sûr : BB8, le nouveau petit robot est excellent même s'il est une copie de R2D2 qu'on ne voit qu'à la toute fin, la nouvelle super arme des méchants fait 10 fois la taille de l'Etoile de la Mort, sorte de caricature presque drôle des premiers épisodes. De manière générale, il y a une tendresse dans la caméra de JJ Abrams qui respecte religieusement la saga originelle, au point de s'en inspirer constamment, avec cette impossibilité de s'en détacher sans faire jaser. Le film est calibré à la seconde près. On regrettera que le côté artisanal des vieux épisodes soit devenu ce film millimétré mais impressionnant de maîtrise. Tout est là : combat de sabres, batailles de vaisseaux superbes, planètes, extraterrestres, robots, et bien sûr, la Force. Abrams construit le film sur la redécouverte : les ruines de Jakku sont la réminiscence des combats passés entre l'Empire et l'Alliance Rebelle, la pilleuse d'épave Rey est en quelque sorte le réalisateur qui manipule avec soin ces vestiges glorieux du passé, la Force et les jedis sont un mythe, que les personnages vont redécouvrir, les anciens sont les porteurs de secrets, les mentors qui vont transmettre leur savoir à la nouvelle génération, en témoigne le passage de relais de l'ancien sabre laser de Luke, et d'Anakin, de mains en mains jusqu'à Rey, en témoignent le Faucon Millénium, superbement réssucité, "tas de ferraille" le plus rapide de la galaxie, et puis cette figure légendaire de Luke, disparue que tout le monde recherche.
Ce film relègue dans les abysses la prélogie qui, rétrospectivement, fait pâle figure. JJ Abrams réussit l'exploit de faire d'une opportunité commerciale une vraie suite. On sent bien qu'elle n'était pas totalement nécessaire, que l'histoire aurait pu s'arrêter là mais réinterprétant l'univers de la saga, le modernistant, l'enrichissant, il rend la nouvelle trilogie indispensable. Néanmoins, il ouvre énormément de portes qu'il faudra refermer avec soin tant l'attente est immense. Ne reste plus qu'à attendre patiemmment la suite, pour pouvoir juger à sa juste valeur cet épisode qui condense en 2h15 tous mes rêves d'enfants. Le mythe continue, le rêve est intact. Merci JJ !
Chewie, on est à la maison !