Comme beaucoup de spectateurs, j'ai découvert la trilogie originelle Star Wars tout minot, devant la télévision familiale. Luttant pour ne pas sombrer dans les bras de Morphée et louper l'apparition tant attendue de Yoda, ce curieux petit être tout vert aux grandes oreilles. Sommeil qui s'emparait de moi à chaque fois, contraignant ma mère à un rapide résumé de ce que j'avais manqué. Bien des années plus tard, désormais grand connaisseur de l'univers lucasien du haut de mes quinze ans, je frémissais devant le générique plein de promesses qui défilait sur l'écran géant en cette belle après-midi d'octobre 1999. Trop bref instant de bonheur céleste qui ne pouvait me préparer à une débâcle qui provoque encore aujourd'hui de sévère douleurs au niveau du rectum.
Seize ans et une prélogie de triste mémoire plus tard, me voilà de nouveau face à l'écran dans une salle au bord de l'hystérie collective huant bien fort la demie-heure de publicité annoncée, affublé cette fois de lunettes stéréoscopiques peu flatteuses et ma compagne au bras, prêt à en découdre avec une nouvelle aventure parrainée dorénavant par Mickey Mouse. Ami un peu trop proche des enfants qui aura d'ailleurs le bon goût de ne pas apposer son logo en introduction, laissant simplement notre coeur piquer un sprint et nos poils se hérisser à l'apparition du mythique texte inaugural.
Construisant son récit comme un décalque du matriciel A New Hope, le cinéaste J.J. Abrams, secondé par Lawrence Kasdan (qui avait déjà scénarisé The Empire Strikes Back et Raiders of the Lost Ark, quand même) et par Michael Arndt, semble nous informer dès les premiers instants que nous resterons tout du long en terrain connu. A l'image d'un élève studieux rendant hommage à son professeur préféré, le papa de Alias joue la carte de la déférence, du respect inébranlable face à une oeuvre qu'il vénère.
Une modestie tout à son honneur, permettant un passage de flambeau en douceur et apportant au récit une certaine fatalité, comme si les erreurs du passé étaient condamnées à se répéter inlassablement. Malheureusement, cette approche timorée annihile toute véritable surprise, le scénario s'avérant prévisible du début à la fin, transformant ce septième opus en quasi-remake du quatrième. Les facilités d'écritures, qu'il s'agisse des personnages ou du déroulement, se voient donc accentuées, tout comme les quelques baisses de régime.
Une absence de nouveauté et une poignée de défauts narratifs qui heureusement, n'entachent pas trop le plaisir procuré lors du visionnage de The Force Awakens. Car il faut bien l'avouer, même si la félicité n'est pas totalement au rendez-vous, le film d'Abrams se révèle être un divertissement de très bonne tenue, apte à satisfaire les fans de la première heure comme les néophytes. Mené tambour battant, retrouvant le dynamisme salvateur de la trilogie d'origine et gérant efficacement le fan-service attendu (à une ou deux exceptions prêtes), The Force Awakens rempli son contrat haut la main.
Nous plongeant directement au coeur de l'action, J.J. Abrams capte notre attention dès le départ à partir d'une mise en scène impeccable, immersive et maîtrisée de bout en bout. Par le biais de sublimes décors, d'un gigantisme intimidant et de quelques plans iconiques, il illustre à merveille la chute de tout un monde, convoquant les fantômes du passé avec une évidente puissance évocatrice qui constitue le meilleur d'un film avant tout humain.
Car Star Wars est avant toute chose une aventure humaine, une pure tragédie shakespearienne trouvant ici une continuité certes prévisible et facile, mais finalement logique et surtout émouvante, à l'image d'un choix scénaristique audacieux (le seul ?) qui en fera gueuler certains mais qui fait figure de possible émancipation, et d'un final à vous coller des frissons tout le long du corps. Une saga qui ne serait rien sans ses personnages, qu'ils soient connus ou qu'ils fassent leur première apparition ici.
Si l'on excepte quelques apparitions tombant tristement à plat (Carrie Fisher paraît complètement paumée) et quelques seconds rôles totalement sous-exploités (Phasma, inutile pour le moment) ou peu satisfaisants (Snoke déçoit et Domhnall Gleeson en fait des caisses dans le rôle de Hux), la majorité des protagonistes s'avère immédiatement attachante. Parmi les vieux de la vieille, on ne pourra que se réjouir de retrouver un Harrison Ford enfin concerné, prenant visiblement un malin plaisir à retrouver sa panoplie de canaille en compagnie de son wookie préféré. De son côté, bien que pratiquement absent, le personnage de Luke Skywalker parvient miraculeusement à imprégner le film de son aura légendaire, spectre insaisissable au coeur même de l'histoire.
Dans la peau de Rey et Finn, les jeunes Daisy Ridley et John Boyega font le boulot, parvenant à donner vie à des figures encore méconnues mais qui ne demandent qu'à s'épanouir, tout comme le rôle encore trop bref de Poe Dameron, interprété avec charisme par Oscar Isaac. On appréciera également la présence de l'adorable droïde BB-8, croisement entre R2-D2 et Wall-E. Mais pour ma part, la vraie surprise proviendra surtout de l'énigmatique Kylo Ren, véritable figure tragique constamment sur le fil, dont le parcours, encore maladroit et chaotique dans son écriture, nous renvoie cependant à une réalité actuellement bien tangible. A la fois fragile et flippant, Adam Driver se montre impeccable dans un rôle sacrément casse-gueule, évitant adroitement le cabotinage redouté.
Sans être entièrement satisfaisant, la faute à une approche encore timide brossant le fan dans le sens du poil (mais patience, la suite devrait déchirer) et à une écriture manquant de finesse et de surprise, The Force Awakens constitue une réunion de famille rafraîchissante et exaltante. Un spectacle formellement abouti, drôle et plus d'une fois touchant, bénéficiant de personnages dans l'ensemble attachants et d'un mélange probant de CGI et d'effets à l'ancienne, comme pour dire que c'est définitivement dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe.