Outre la grande aide apportée par le marchandising de masse propre à la propagation de goodies à l'échelle planétaire, l'univers imaginé par George Lucas est devenu un mythe. Un univers né des rêves d'un gosse avec des aventures plein la tête et l'ambition de les raconter à la terre entière. Star Wars, c'était le rêve de tous, et celui de J.J. Abrams.
Revenir aujourd'hui sur l'étendue du phénomène, oui, mais l'affubler d'une structure adaptée à un public gavé par une standardisation de la narration et de l'image et tout ce que ça implique tout en misant exclusivement sur l'aspect nostalgique de la chose au détriment d'une identité suffisamment solide pour être marquante, non, vraiment, ça passe pas.
Le réveil de la Force a été difficile, la gueule de bois inévitable. J.J. Abrams se casse la figure en tentant de copier sans succès l'énergie à la fois pétaradante et douceureuse de la trilogie d'origine. Pour vouloir prolonger une saga, encore faut-il avoir compris un minimum l'ampleur de ce dans quoi on s'engage. Exit les atmosphères étouffantes, les personnages formellement remarquables et les moments d'exultation, bonjour les interprètes en guimauve dans un monde aseptisé de toute entreprise poignante, beaucoup trop propre et polissée pour espérer rendre un visuel autre qu'enfantin.
Pas un seul personnage de ce Star Wars n'éveille ce quelque chose de grandiose. Les figures iconiques se font oubliées, plongées dans le marasme des trop nombreuses (et trop courtes) péripéties, les nouvelles recrues sont d'une convenance presque choquante, servie par des dialogues affligeants, éclipsant de ce fait les éléments de background nécessaires à leur caractérisation, alors expédiée, voire complètement éludée.
Une héroïne monofaciale, débarquant de nulle part, qui peut toujours se débrouiller toute seule et n'a pas besoin qu'on lui tienne la main, un boulet suant à la gestuelle excessive inépuisable, trahissant l'Ordre dans un éclair providentiel de lucidité (ce que je fais n'est pas bien, je vais aider les gentils), un ersatz de D2-R2 aux expressions anthropomorphiques pour le gimmick mignon, un Mark Hammil qui se demande quelle tambouille préparer pour ce soir après avoir joué sa scène de « regards-beaucoup-trop-longs-et-vraiment-très-gênants » ; ainsi une plétore de personnages secondaires aussi maladroitement représentés que véritablement postiches (merci de votre participation Capitaine Phasma).
Un léger effort a cependant été apporté à Kylo Ren, campé par un Adam Driver de qualité même si pauvrement dirigé. Son comportement impulsif et son culte voué à Vador rendent le personnage un peu plus intéressant et mémorable que le reste. Une nouvelle icône du mal galactique se profile, pour l'instant tiraillée en la Lumière et les Ténèbres, aux accès de colère motivés par une privation de pouvoir et un besoin de reconnaissance de la part de ses pairs. Le côté enfant explosif de Kylo Ren en fait le seul personnage un tant soit peu prometteur quant à son évolution, Rey étant au final éclipsée par son jeu limité et sa présence contraignante plus qu'autre chose.
Même si l'histoire de la trilogie d'origine n'est pas un exemple de complexité scénaristique, les personnages avaient suffisamment d'impact et étaient connectés de façon à rendre l'univers captivant, crédible malgré sa dimension extraordinaire. Le drame de toute une famille mettait la galaxie à feu et à sang. Le produit de Abrams brasse du vent sans jamais se poser un seul instant pour laisser souffler la situation et ses protagonistes. La plupart d'entre-eux se contentent de se déplacer d'un point A à un point B, mués par un objectif plus ou moins accepté, avec une facilité d'adaptation et de mouvement au service d'un scénario inconstant.
Le problème majeur de ce Star Wars réside invariablement dans la fragilité de ses personnages, emportés par le montage sans avoir le temps d'agir sur le spectateur, ainsi que les conséquences inexistantes de scènes supposées importantes mais rapidement enterrées par une mise en scène conventionnelle et sans surprises, bâclée par manque d'ambition, sans réels affects (la découverte du sabre laser de Luke par Rey, la mort de Han Solo, Rey et Skywalker, etc …).
Sans faire sans cesse appel à la comparaison avec les films d'antan, « Le Réveil de la Force » souffre d'un perpétuel sentiment d'inachevé. Les scènes s'imbriquent pour former un récit sommaire, sans rebondissements, porté par une abondance nauséeuse de coups de théâtres plus qu'épisodiques, rapidement noyés par les suivants (la résurrection de Poe Dameron expliquée en 6 secondes, les retrouvailles de Han et Léia s'étant fâchés pour une raison mystérieuse qu'on ne connaîtra jamais, la mort de Han dont tout le monde se fout après le cut, R2D2 qui se réactive parce qu'il faut bien finir le film, etc ...).
La continuité se fait fatalement au détriment de la logique temporelle, s'accrochant ardemment à une structure incomplète. Tout le monde est omniscient et parfaitement au courant des agissements des autres personnages, à toute heure et à toute distance, avec une réactivité surnaturelle, histoire de rajouter une frénésie aux enchaînements d'actions et réactions déjà éphémères par leur rapport durée/contenu mal équilibré. Les temps morts sonnent faux, des prétextes à l'illustration du sens, pourtant déjà limpide dû à la candeur juvénile des personnages. Il ne s'agit pas de s'approfondir sur tout ce qui entoure les prises de décisions, mais de montrer, purement et simplement, le classicisme éprouvé et éprouvant de ce genre de construction filmique.
Parmi cette débâcle de scénettes volages jonchées de références à la saga pour le côté fan-service, et de touches « humoristiques » confortant les personnages dans leurs besoins de substance (Finn prenant la main de Rey, le Han Solo qui ne sait plus piloter) mais heureusement relevées par des pointes situationnelles fraîchement seyantes (l'apparition de C3PO, les deux stormtroopers tournant les talons face à la colère de Kylo, le « pouce » levé de BB-8), on retrouve quelques lueurs scéniques venues proposer des éléments d'une plus grande ampleur.
La destruction du foyer/temple/bar de Maz Kanata par le Premier Ordre, ne laissant derrière que monticules de ruines et espoirs brisés, constatations impuissantes et échecs successifs, Rey enlevée et la réunion des vieux de la vieille, ensembles aux bords de la misère.
Le discours flamboyant du général Hux aux troupes impassibles. Le roukmoute Gleeson, l’œil éveillé et la lèvre tremblotante, la promesse de la gloire au bout du blaster, la parole fascisante balayant dans un torrent verbal furieux la torpeur malaisante d'un récit délavé.
Le Réveil de la Force, c'est Star Wars. Impossible de dissocier la saga cinématographique et son propre mythe, lui ayant donné ses lettres de noblesse. Mais la sauce ne prend pas cette fois, pas à cette époque. L'ossature choisie par Abrams ne correspond pas à Star Wars et au second millénaire. Les enjeux ne sont pas les mêmes et le résultat en pâti grandement, préférant s'appuyer sur son académisme plus que sur la portée légendaire de son folklore.