Ce n'est plus un secret, le principal reproche adressé au The Force Awakens de JJ Abrams était son manque d’audace. Un retour de la magie star wars originelle un peu miraculeux qu’il n’est pas interdit d’apprécier, malgré son incapacité à se détourner de la route du remake forcé pour y parvenir. Filon nostalgique en tout cas bien commode économiquement parlant pour Disney par les temps post-modernes qui courent actuellement et dont on pouvait craindre qu’il serve à nouveau de matrice pour ce The Last Jedi.
Mais un homme comme Rian Johnson a vraiment trop de talent pour ça, autant avec une caméra qu’un stylo. Bien que le poids de l’héritage se fasse sentir, Il parvient ici non seulement à apposer sa marque sur ce film (l’ombre du Rainmaker de Looper plane au-dessus de Kylo Ren et de son arc de personnage) mais encore plus fort, à livrer un vrai commentaire sur le travail de son prédécesseur et à le bonifier rétrospectivement sur un plan thématique. Comme Abrams, les personnages du film, Rey et Kylo, entreprenaient leur quête de sens et d’accomplissement en choisissant de marcher dans les pas de leurs glorieux ainés.
Le cœur du film de Johnson, beaucoup plus conscient de son sujet, est la terrible et inéluctable désillusion qui ne peut qu’en découler. Les figures de mentors et modèles (Luke, Snoke, Vador) y sont mises à mal et les promesses de renouveau issues de leurs exploits passés se sont heurtées à leur incapacité à s’émanciper de l’ordre établi (Jedi, Sith etc…), perpétuant le cycle au lieu de le rompre. Un film sur l’échec parental dans une telle saga familiale (aux 2 sens du terme), il fallait oser.
Mark Hamill est exceptionnel en icône déchue dont le mythe est brillamment déconstruit pour être mieux réédifié dans un final pourtant à rebours de tout fan service traditionnel. Le toute puissance du jedi est une illusion qui fait paradoxalement toute sa grandeur, sublime idée.
Let the past die. La rébellion face à ces différentes formes de déterminisme est au cœur de ce film.
Un tel sujet est d’autant plus passionnant qu’il est difficile de ne pas le recontextualiser dans le monde bien réel d’aujourd’hui. Le retour à la parabole politique amorcée par Rogue One est bel et bien là. Difficile de ne pas s’identifier à cette génération de personnages, à leur sentiment d’abandon face à la génération précédente et son entêtement à faire perdurer l’ancien monde là où le renouveau était appelé. Un échec lourd de conséquence et directement responsable du retour des spectres du passé. Le grossier rebranding de l’Empire en First Order moqué dans le film précédent devient la triste analogie de la résurgence à peine déguisée d’idéologies que l’on pensait définitivement vaincues et enterrées. La séquence de la ville casino de Canto Bright bien qu’un peu expédiée malgré son fort potentiel James Bondesque, est également assez pertinente en tant que miroir du réel. Les riches habitants qui la peuplent, à l’abri des incessants conflits qu’ils attisent et qui ravagent le reste de la galaxie génération après génération, pourraient même être considérés comme les pires salopards de l’histoire derrière leur inoffensive et apparente passivité, car garants et surtout gagnants (bien plus que les Empire et Republique qui se succèdent) de ce cycle infernal.
Hélas si le film est placé sous le signe de la rébellion, on pourra regretter qu’il n’aille pas jusqu’au bout de sa démarche sur ce seul opus. Oui Rian Johnson ose des audaces de mises en scène, prend à contrepied certaines attentes, démonte certains clichés, entreprend la déconstruction de certains pilliers fondateurs de Star Wars mais ne va pas au bout du bout de la logique thématique sur laquelle il me semble s'engager. On pouvait espérer la fin pure et simple de l’ordre jedi pour quelque chose de plus pur et moins dogmatique, le dépassement de cette construction manichéenne qu’est la dichotomie entre Lumière et Obscurité (pourtant suggérée par l'iconographie dans le temple...), mais le film n’ira pas jusque là. C’est en tout cas là que réside l’axe le plus prometteur pour le dernier volet de cette postlogie : après avoir détruit le « passéisme » du premier film, reste maintenant à mettre en pratique et construire un futur capable de pousser le saga d’un grand bond en avant et la réinventer. Le retour de JJ Abrams pour l’épisode 9 n’est malheureusement pas la meilleure garantie d’aller jusque-là mais peut-être la future nouvelle trilogie de Rian Johnson, d’ores et déjà annoncée, sera-t-elle l’occasion de poursuivre cette démarche.