Ce dernier Star Wars est, à l’image de Batman v Superman, un film qui divise. En fait, il est tout comme ce dernier, le produit d’un paradoxe : le public veut des produits exigeants, mais quand il y est confronté, il le rejette. En réalité, ce n’est pas vraiment un paradoxe, mais une équation un peu particulière et qui peut se résumer de la manière suivante : le public veut des produits complexes, mais tout lui est expliqué dans le moindre détail.
Au risque d’invoquer des poncifs, nous vivons actuellement dans le monde de l’information de masse, disponible partout, tout le temps. Cette quantité d’information nous donne l’illusion d’un monde rationnel où tout peut trouver une explication logique, explicable presque mathématiquement. Nous sommes devenus des homo-rationalicus ou post-werbérien, lequel comprenait la rationalité comme l’adéquation des fins et des moyens. Tout doit être expliqué, et tout doit être expliqué selon cette approche. Dès lors, on rejette tout effort d’interprétation, on refuse l’existence de biais cognitifs, l’échec ne peut pas exister.
Or voilà Star Wars 8, un film qui précisément, nous parle de l’échec. Comment vivre avec, comment apprendre de lui et comment le dépasser.
A partir d’ici, je préviens le lecteur que ce qui suit dévoile massivement l’intrigue.
Je ne vais pas trop m’attarder sur la mise en scène, ce n’est pas ma spécialité, mais disons que de ce point de vue, le film est inégal. Le rythme en particulier est un peu étrange et toujours entre deux eaux, dans le sens où quand le film pourrait devenir ennuyeux, il repart (le film est rempli de retournement de situation – mais il y en a toujours pour le trouver chiant apparemment) mais quand il pourrait vraiment nous transporter, il retombe. La dernière partie du film recèle les plans parmi les plus somptueux de la saga.
Le film prend aussi beaucoup de risque, dans les directions que prennent le scénario, mais aussi dans les thématiques abordées. On a des personnages féminins forts (dont une clairement LGBT) et une vraie volonté de mettre en avant des aspects jamais abordés de l’univers, notamment politique. Et on voit alors que Star Wars est un univers assez cynique où se déploie des logiques de domination implacables (et si on m’avait dit un jour que ces films aborderaient la thématique de la maltraitance des animaux…). Il y a un vrai message politique dans ce film, notamment de vouloir mettre en avant les invisibles et les opprimés.
Il y a aussi des choix très étranges et là je me permets un petit laïus sur la Force. Il faut bien comprendre qu’en 8 film, ce phénomène métaphysique n’a jamais été borné et donc je trouve un peu vain de lui donner une cohérence (comme tout phénomène métaphysique d’ailleurs). Petit récapitulatif non exhaustif et dans l’ordre chronologique de la sortie des films :
- Episode 4 : la Force permet « d’influencer les esprits faibles », confère un genre de 6e sens (on voit sans voir), permet de ressentir un Jedi proche ou des destructions à grande échelle mais vaguement, les fantômes peuvent nous parler, mais pas inversement, on peut aussi étrangler des gens à distance.
- Episode 5 : la Force permet désormais de déplacer des objets à distance, les fantômes nous apparaissent clairement et on peut discuter avec eux, on peut voir l’avenir par bribe, on peut communiquer à distance.
- Episode 6 : les présences se ressentent de manière plus évidente, on peut balancer des éclairs du bouts des doigts.
- Episode 1 : on nous introduit au midicloriens, manifestation physique de la force qui semble agir au niveau atomique. A ma connaissance, aucun autre film de la saga ne revient là-dessus
- Episode 2 : rien (hormis que ça transforme Yoda en acrobate-ninja quand il se bat)
- Episode 3 : on peut ressentir la mort d’un Jedi puissant sur de longues distances.
- Episode 7 : arrête les tirs de blaster, permet de lire dans les pensées
- Episode 8 : on peut discuter avec l’image, on peut projeter la sienne, les fantômes envoient aussi des éclairs, Leia devient une Mary Poppins de l’espace.
Bref moralité : arrêtez d’essayer de trouver une explication logique à ce truc. Certes la prélogie avait un peu stabilisé tout ça, mais la trilogie originale fait totalement ce qu’elle veut avec.
Voilà, à partir de maintenant je vais pouvoir m’attaquer à ce que je sais faire un peu mieux : disséquer le scénario et en particulier, disséquer les décisions que prennent les personnages. En particulier, je reviens sur deux moments : la partie au casino et le cas de Holdo.
Pour mieux évoquer le cas du casino il faut commencer par le début du film et l’assaut contre le cuirassé impérial. On y voit Poe initier une manœuvre audacieuse et grisé par son succès, choisi de faire intervenir des bombardiers, contre les ordres de Leia. Ce coup lui permet effectivement de détruire l’engin, mais dans l’opération, la Resistance perd toute sa flotte de bombardiers. Par conséquent, Leia dégrade Poe et lui fait comprendre qu’une victoire n’en est pas une si elle obtenu au prix d’un trop grand sacrifice (ce qu’on appelle une victoire à la Pyrrhus). En outre, elle lui fait remarquer que la destruction du cuirassé, pour spectaculaire qu’elle soit, n’a rien de décisive sur le cours de la guerre.
On arrive donc au casino. Leia est dans le coma, Holdo a pris le commandement et ses décisions ne conviennent pas à Poe. Ce dernier décide alors avec Finn et Rose de lancer une opération éclair pour récupérer un hackeur qui pourra paralyser la flotte impériale et permettre à la Resistance (à cours de carburant, un élément nouveau dans Star Wars) de s’enfuir. Mais les indications qu’ils obtiennent sont très minces et un imprévu pousse Finn et Rose à revoir leur plan en cours de route et à recruter un autre gars. Et donc là visiblement, les gens s’étonnent que cette mission soit un échec…
Alors ok, ça frustre certains que des héros puissent échouer dans un film comme celui-ci parce que ça ne fait avancer le scénario de manière rationnelle. Sauf que dans un film qui a pour thème l’échec, c’est complètement pertinent. Malgré la leçon de Leia, Poe redécide d’une mission extrêmement périlleuse, mais il s’entête va jusqu’à mettre en place une mutinerie et finalement il met en danger tout le monde. Donc oui, cette mission ne pouvait être qu’un échec. En outre toute cette phase ouvre tout un pan de l’univers jamais exploré, donc non ça ne sert pas à rien.
Retour sur Holdo et son inaptitude à communiquer sur ses intentions. Non, ce n’est pas illogique, ça nous apprend simplement que l’on peut être un excellent stratège mais un mauvais chef. On peut avoir le meilleur plan en tête mais si on ne parvient pas à communiquer sur ses intentions, l’échec devient fort probable. Holdo, toute occupée qu’elle est à se montrer arrogante envers Poe lui fait oublier de mettre sa fierté de côté et son rôle de chef. Résultat, en pleine crise majeure, elle doit affronter une mutinerie. Il n’y a rien de plus réelle et crédible que cette Holdo qui ne parvient pas à communiquer convenablement avec ses subordonnés. Et aussi, le coup de l’hypervitesse : beaucoup réagissent en se demandant pourquoi cela n’a jamais été fait avant. Eh bien précisément, ça n’a jamais été fait avant, c’est le principe de l’innovation. Et là je me pose une question : combien de ceux qui ont eu cette réaction ont déjà pensé à utiliser l’hypervitesse de cette manière ?
Alors voilà, il y a encore beaucoup à dire, notamment sur Rey, Luke et Ben, mais c’était principalement sur ces points là que je voulais réagir. Arrêtez de vouloir des explications rationnelles à tout ce qui se passe à l’écran, un scénario n’a pas vocation à être utilitariste et il faut parfois plus écouter que regarder. Je ne sais pas comment va se goupiller la suite, mais en prenant autant de risque, je me demande si Johnson lui aussi n’a pas remporté une victoire à la Pyrrhus.