Etrange objet filmique que ce Derniers Jedi...
Mais de là à cristalliser toutes les haines...
Beaucoup s'étaient offusqués du fait que le 7° volet de la saga n'était qu'un remake déguisé de l'originel, un film sans originalité, ni prise de risque... Et ce sont peut-être les mêmes qui se sont agacés face à ce 8° opus de la série offrant un tel contrepoint à l'oeuvre de George Lucas qu'il ne pouvait être qu'un pied de nez irrespectueux.
Mais comprenons-les : Star Wars est un tel pan de l'histoire du cinéma, qu'il ne peut que susciter des réactions amplifiées, passionnelles, voire paradoxales. (Dans ce contexte, l'accueil unanimement chaleureux auquel Rogue One a eu droit pourrait presque susciter le doute...)
Les Derniers Jedi contredit autant qu'il justifie le film de JJ Abrams, révélant un Masterplan assez ambitieux de la part de Lucasfilms 2.0. : il fallait rendre hommage avant de tout déconstruire. Ainsi, si le Kylo Renn de l'épisode 7 jouait aux Darth Vader d'opérette, l'épisode 8 le remet à sa place. Et que dire de ce Luke Skywalker idéalisé tout au long du Réveil de la Force et qui se révèle dès les premières minutes des Derniers Jedi comme un ignoble papy grincheux ?
Cela montre toute la santé de l'entreprise de Kathleen Kennedy : la révérence n'induit pas la complaisance, et comme dans la vraie vie, les jeunes héros ont le droit de devenir de vieux cons.
Il y a toutefois suffisamment de références amoureuses aux trilogies de Lucas (le retour d'un bestiaire foisonnant, la remise en avant de R2D2 ou un Yoda à l'aspect caoutchouteux et cartoony, certes imparfait, mais qui ne jure pas tant que cela avec celui du Retour du Jedi) pour avoir la certitude que Ryan Johnston n'est pas venu pour briser totalement et gratuitement l'édifice.
Surtout, il y amène de nouvelles pierres qui seront sans doute mal perçues, mais dont l'audace est payante avec le recul :
- des personnages beaucoup moins manichéens que d'habitude (ce qu'ils perdent en cohérence, ils le gagnent en réalisme),
- une Leia qui se transmue en Superman ou Magneto (mais dans une scène d'une beauté, une dignité et une émotion à couper le souffle),
- une ambition esthétique jamais vue dans la saga (la salle de Snoke d'une épure et une classe toutes Kubrikiennes, un casino rutilant, une bataille finale où le sel a le goût et la couleur du sang)
- et surtout un humour perturbant, entre slapstick (que de baffes !) et WTF.
Mais que le surgissement du burlesque (voire de l'absurde) au sein de la saga ne nous trompe pas : tous les hurlements de Porgs et blagues dignes de Judd Apatow (Finn qui "perd les eaux", ou Luke Skywalker, en mode fermier, qui va traire les vaches), ne nous feront pas oublier que c'est le plus triste des films de la saga (sans doute même plus que l'épisode 3, empli de fatalité, mais auquel les volets 1 et 2 nous avaient préparés).
En effet, là où la nostalgie de l'épisode 7 était heureuse et galvanisante, celle de l'épisode 8 est tragique et plombante. En effet, les Derniers Jedi sonne le glas de nos traditionnels héros : il coïncide avec la mort des figures tutélaires (dans la fiction comme dans la vraie vie) et voit la Résistance totalement décimée.
Mais au lieu d'enterrer Star Wars par ses audaces (ou ses errances), Ryan Johnston en assure la survivance : pour que la franchise entre dans une nouvelle ère, il fallait nécessairement que le réalisateur procède à une taille salutaire. Certes, plus que quelques branches, c'est une grande partie du tronc qui est débitée, mais les racines à vif auront désormais toute latitude pour se développer à nouveau.
Les Derniers Jedi n'est pas le tas de cendres annoncé.
Oui, le film est trop long.
Oui, le rythme en est parfois chaotique (le manque de transitions soignées donne une mauvaise appréhension de l'espace et du temps dans les 30 dernières minutes).
Et oui, certains tics de montage sont lourdingues (les plans alternés sur Ben/Leia, ou Kylo/Rey prennent le spectateur pour moins intelligent qu'il ne l'est).
Mais non, ce n'est pas le désastre.
Non, la firme aux grandes oreilles ne prend pas un malin plaisir à saccager la saga la plus iconique du 7ème art, pour le plaisir d'engranger les biftons.
Non, l'héritage Skywalker n'est pas piétiné.
On attend donc avec impatience le neuvième épisode (et pas seulement parce que, dans une sorte de naïveté, on se rattache à la numérologie qui voudrait que neuf symbolise l'aboutissement, la plénitude, l'épanouissement). Car pour la première fois, on ne sait pas vraiment ce qui attend nos héros. Rey est sans doute trop trouble pour qu'on lui accorde la confiance que l'on éprouvait envers une Padmé, ou un Luke. Kylo Renn n'est pas assez monolithique pour être le méchant implacable et iconique que l'on attend. La Rebellion est affaiblie comme jamais. Le Premier Ordre est plus désorganisé et divisé que ne l'ont été précédemment les Sites ou l'Empire. Et surtout, contrairement aux deux précédentes trilogies, il n'y a plus de grand tireur de ficelles pour agiter l'antagoniste principal. Là où un Palpatine téléguidait de bout en bout les sombres manoeuvres de Dark Maul, Dark Sidious, Anakin/Dartk Vador,
Snoke n'est plus là pour agiter Kylo Renn.
Toutes les cartes sont rebattues. Tout recommence.