Un chef d'œuvre, ça ne s'improvise pas

[écrit après avoir vu au PIFFF une version "de travail" du film (déjà assez aboutie à mon avis)]

Ce film est un petit bijou d'ambiguïté, entre comédie potache et thriller angoissant. Déclinaison géniale du lourdaud sympa et expansif à qui on ne sait pas dire non, qui va toujours trop loin, jusqu'au n'importe-quad (sic). On se méfie de Stéphane autant qu'on l'aime et le méprise... Est-il vraiment gentil ? Vraiment inoffensif ? Et au fait, pourquoi est-on encore avec lui ?

Le film montre d'abord, à travers les images qu'il a filmées, l'apprenti cinéaste Timothée qui gère difficilement la cohabitation entre sa modestie et sa prétention. Il improvise maladroitement un tournage sans budget et surtout pas préparé du tout, avec comédiens qu'il ne sait pas impliquer, et s'accommode désespérément de chaque contretemps en espérant sans cesse que ça passera... et même que son film sera génial, malgré tout, parce qu'il croit sincèrement avoir une vision artistique.

Pour le spectateur, c'est évident : donner deux trois vagues directives à des acteurs en décor réel et compter sur leurs capacités d'impro pour boucher les trous, ça ne peut pas marcher !

C'est pourtant exactement de cette façon que Stéphane a été réalisé ! Une trame basée sur un personnage que le duo Pastor / Hochet avait déjà fait (vu ?) naître dans des court-métrages informels et quelques idées éparses, un repérage forcé par les mesures sanitaires et un micro budget, et roule ma poule on y va ! Et ça fait carrément mieux que "passer", on est vraiment happés par le personnage titre, beauf magnétique qui est est très bien amené à nous. On le découvre avec la même surprise que Timothée en se demandant jusqu'au bout si ça va déraper, ou plutôt quand et comment ça va déraper, même si OK cette fois ça passe, mais...

En vrai, c'est une petite équipe hyper motivée qui a monté ce projet un peu improbable. C'est sans désespoir mais avec une belle énergie créatrice que les imprévus ont été gérés et même intégrés au film (exemple du chien qui passe par hasard à l'image et fait à la fois l'objet d'une blague et d'une touche de mystère). les acteurs sont hyper impliqués et Lucas Pastor est tout simplement génial, très à l'aise sur le fil du rasoir. Et puis si on a déjà pas mal vu des acteurs jouer l'acteur, c'est pas si souvent qu'on voit un acteur qui joue l'acteur qui joue l'acteur.
Timothée est aussi une insupportable tête à claques qui se laisse porter et marcher dessus tout en se racontant qu'il maîtrise la situation.
Entre les deux, Eva Gregorieff a une présence muette très puissante et révélatrice de leurs travers, image aussi de ce que peuvent vivre beaucoup de femmes dans des milieux très masculins.

Un bémol sur le principe du "found footage" qui trouve comme souvent ses limites. On se demande plusieurs fois pourquoi les personnages filmeraient autant. Certains passages sont même montrés une seconde fois après leur tournage, pour laisser entendre qu'un personnage les regarde à nouveau (chépa si c'est clair mais osef). C'est logique sur le plan dramaturgique, mais si le footage est si found, alors comment le monteur saurait qui l'a regardé et quand ? Hein ? 'fin bon, rien de grave à mon avis, je ne suis pas un ayatollah du réalisme cinématographique. Ce procédé suggère le naturel mais ça reste du ciné, on n'est pas dupe, on en attend même de la "magie" alors il faut bien lui accorder quelque licence.

Il y a aussi un petit ventre mou (haha) lors du pénible tournage de la scène du baiser.
Mais ça repart ensuite de plus belle, vers un dénouement qui ne déçoit pas. La fin est diablement surprenante. La post-fin encore plus. Et l'après-post est bien marrante. Le tout empile encore des couches de mystère sur ce personnage incroyable qu'on adorerait retrouver dans d'autres déclinaisons.