On ne peut pas dire que le sujet du film m'ait particulièrement attirée. Cependant je ne regrette pas ma séance, car Steve Jobs m'a particulièrement surprise ce qui explique ma note plutôt favorable : je pars du principe qu'un film qui réussit à me convaincre quand le propos de départ ne m'avait pas inspirée, a du mérite. Steve Jobs en a beaucoup.
Le style habituel du biopic - y a-t-il vraiment un style, d'ailleurs ? - est ici abandonné au profit d'une mise en scène réellement originale et sensée. C'est d'ailleurs ce qui explique ma note en grande partie : la réalisation et le montage ressortent du lot. Le fait d'avoir utilisé le 16mm, le 35mm puis le numérique est déjà en soi une bonne idée, qui pour une fois prend sens. J'ai vu des films mélanger pellicule et numérique sans que cela apporte quelque chose ; ici, c'est entièrement justifié. Le film choisit, dans son ambition de raconter Steve Jobs, de s'appuyer sur ses produits technologiques, or la technologie cinématographique évolue en même temps que les ordinateurs que conçoit Apple, dans le film.
Ensuite, le réalisateur ne s'arrête pas là : bien qu'on retrouve de nombreux plans classiques, des scènes classiques au possible, il y a des moments où on sort vraiment des sentiers battus. Une certaine originalité dans le cadrage, des jeux de textes, d'images de différentes qualités. Pour une fois, et ça fait plaisir, on sent qu'il y a une recherche. Ce qui n'était pourtant pas évident, dans un film qui semble viser à priori plus le grand public que la critique.
Même scénaristiquement, l'ensemble est bien construit. On entre dans un schéma relativement répétitif mais le film fonctionne sur ces enjeux de répétitions et de variations, donnant à voir une évolution du personnage comme une certaine constance. Ce qui m'a notamment plu dans la construction du film, c'est cette manière de violenter le spectateur dans son habitude. On peut peut-être résumer le film à cette manière de surprendre : là où le spectateur attend, le film coupe court. Il ne s'agit pas de suspense : il s'agit d'un refus du film de donner au spectateur du tout cuit, ce à quoi il s'attend, ce qu'il veut voir finalement. Or malgré deux heures de dialogues presque purs entre Jobs et ses électrons dans l'éternel retour, le film fonctionne. C'est un tout cohérent, conventionnel et original à la fois : pas de perte de repère, mais des pointes inattendues.
D'autant plus inattendu que ce biopic n'encense pas le personnage ce qui est plutôt satisfaisant. On est loin d'un Lincoln ou d'un Majordome, bien qu'on touche parfois désagréablement au pathos et aux grosses ficelles, notamment dans la musique, qui en l'occurrence n'a pas innové du tout dans ce film. Le film parvient assez bien à une ambiguïté de sens, nous refusant jusqu'à une opinion préconçue sur Steve Jobs : le film raconte, et finalement ce qu'il impose au spectateur, c'est de se faire sa propre opinion. Ce qui semble plutôt en phase avec le personnage, quasi chamanique, à la fois détestable et envoûtant.