Nature morte
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Ce qu’il y a de très beau, dans Still Life, c’est cet entrelacs de la vie et de la mort, de la marche entreprise par deux personnages pour retrouver leur famille et des champs de ruines qu’elle doit traverser, encore et encore, tout en prêtant l’oreille afin, peut-être, d’entendre une voix familière ou l’écho d’une sonnerie de portable enfoui avec son propriétaire sous les décombres. Un même plan-séquence ouvre et referme le long métrage : il s’agit d’un long travelling circulaire qui passe en revue l’équipage d’un bateau sur lequel voyage l’homme d’abord, la femme ensuite, les plaçant tous les deux à la marge de la société et à l’extrême pointe de leur présent, soucieux de raccorder l’avant avec le maintenant, de recoller les morceaux d’une photo de famille qui s’est déchirée avec le temps.
Jia Zhang-ke n’a pas son pareil pour croiser les destinées apparemment singulières d’êtres tourmentés, en révolte contre un système politique injuste qui chasse de leurs maisons ses habitants. Tous les personnages sont des expulsés qui sillonnent des terres jusqu’alors inconnues, qui vivent sur des bateaux amarrés selon les lieux de destination, qui se broient en broyant des immeubles dans lesquels autrefois ils auraient pu vivre, qui circulent en mobylette pour trois yens la course, depuis le port vers la rue inondée. Le cinéaste chinois capte ce qu’il reste de vie, un reste auquel s’accrochent des solitudes comme à des bouées de sauvetage, dans une série de mouvements lents, suivant l’esthétique des natures mortes. Chaque plan constitue ainsi un petit tableau, et sur chaque petit tableau un corps fait face à l’immensité d’un décor qui menace de l’engloutir. Et chacun des deux personnages, comme les deux faces d’une même médaille, comme ces billets qui, d’euros, deviennent des yens grâce au coup de baguette du magicien de fortune, se complètent, se suivent et se ressemblent, incarnations d’une Chine prise en étau entre son passé et sa modernité.
Still Life est un poème vibrant d’humanité qui nous touche en plein cœur en dépit de quelques longueurs et de l’aspect programmatique de son dispositif artistique.
Créée
le 7 nov. 2020
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