On ne surprendra personne en affirmant que le grand sujet de Stillwater est celui du dépaysement. Le film suit Bill Baker, un Américain originaire de l’Oklahoma, parti à Marseille où sa fille est emprisonnée pour un meurtre qu’elle dit ne pas avoir commis. Mais ce qu’il y a d’intéressant au film, c’est que ce dépaysement ne se limite à l’opposition USA/France.


Le film s’ouvre sur quatre scènes, très courtes, d’une impressionnante efficacité. 1) Bill ramasse les débris d’un village américain ravagé par une tempête. 2) Bill est à l’arrière d’une voiture où l’on entend parler ses collègues en espagnol. 3) Il commande un burger. 4) Il mange seul, isolé dans le cadre, après avoir prié. En moins d’une minute, McCarthy brosse le portrait d’un Américain déclassé, qui voit son pays s’effondrer, qui est entouré d’immigrés, et que sa famille a partiellement abandonné. Bill Baker ne devient pas un étranger à Marseille, il l’est déjà dans son propre pays, et cette première idée est appuyée par la dernière ligne du dialogue du film, lorsqu’il dit qu’il ne reconnait plus son environnement.


Une première minute aussi passionnante et pleine de promesses semble destiner Stillwater à être un grand film, mais le reste du long-métrage n’aura de cesse de nous décevoir. Une fois arrivé à Marseille, le fameux dépaysement se limitera à des problèmes de langue : Bill Baker ne parle pas anglais. Si quelques autres coutumes locales et différences de culture feront de timides apparitions, c’est la difficulté de communication qui servira presque exclusivement à nous rappeler le concept du film.


Tom McCarthy ne s’intéresse pas à Marseille, et c’est d’autant plus flagrant lorsqu’arrive la visite des banlieues dangereuses. Là, soudainement, dans un souffle qu’on n’attendait plus, le réalisateur se met à filmer l’environnement. Il ne s’agit pas de mettre en scène des dialogues, une avancée de l’intrigue, mais un monde étranger qui vit et auquel Baker se sent extérieur. La caméra filme les bâtiments imposants, les jeunes qui jouent au foot, les habitants assis devant les magasins. En parallèle, la nuit tombe lentement, ce qui multiplie le sentiment d’étrangeté. A l’issue de cette scène, unique moment où Stillwater paraitrait fasciné par la ville qui justifie son scénario, on ne peut que regretter que McCarthy n’ait pas plus observé Marseille. Car ici, au-delà de quelques formalités administratives, de faux enjeux de traduction (le film se passe en 2019, les smartphones peuvent traduire) et d’effets de folklore (l’impressionnante scène du stade), rien ne viendra réellement profiter du décalage provoqué par la ville en elle-même.


Un grand constat s’impose donc, à l’issu du visionnage : Stillwater est saboté par son réalisateur. Beaucoup s’étaient déjà plaint à l’époque de Spotlight du peu de talent de Tom McCarthy, mais ce nouveau film achève de prouver son incapacité à mettre en scène. Car le scénario, lui, est bien plus intelligent que sa mise en images.


Si l’on reprend le thème du dépaysement, il faut remarquer que celui-ci s’étend aussi aux domaines du genre. Tout au long du film, Bill est presque exclusivement entouré de femmes. Cet américain rural, travailleur dans le bâtiment, dont on sous-entend qu’il vote Trump, se voit donc confronté à une femme actrice de théâtre, sans mari, qui élève seule sa toute jeune fille. A la différence de sexe s’ajoute donc ici l’écart socio-culturel. Pour aider sa fille (qui est lesbienne), McCarthy doit faire appel à une juge, donc encore une femme. Le grand dépaysement, ce n’est pas celui de l’Américain en tant que nationalité, c’est celui du « redneck ». D’ailleurs, après l’ellipse, on a le droit à un plan sur Bill en chantier, et on suppose qu’il est revenu aux USA, jusqu’à entendre parler français autour de lui. Ce plan prouve à lui-seul que les Etats-Unis ne sont pas si différents de la France, le problème est structurel, il attrait à la modernité, à l’actualité. L’idée géniale de Stillwater était donc de cacher derrière le dépaysement marseillais celui d’une époque entière. Idée géniale que McCarthy sous-exploite constamment.


Ce dernier se contentera de construire un thriller excessivement classique, où le rythme est la principale préoccupation. Les dialogues, majoritairement au service de l’intrigue, se suivent et se ressemblent. La variation se fera majoritairement au niveau de la langue : le français avec qui parle Bill maitrise-t-il l’anglais ? Camille Cottin est-elle là pour traduire ? Cette maigre originalité agrémente une forme redondante aux idées visuelles trop rares.


Fort heureusement, le scénario (encore lui) réussit à sauver Stillwater de l’ennui en intégrant trois films en un. D’un thriller, on passe à une sorte de romance qui s’achèvera sur un sous-Prisoners. Si le sens de la rythmique déjà évoqué, unique réel « talent » de McCarthy, permet au thriller de fonctionner, et si le talent indéniable des acteurs donne à la séquence romantique un certain attrait, c’est bien la troisième partie qui se révèle la plus décevante. Pour bien rendre le personnage ambigu, il aurait fallu que la mise en scène sache montrer les actes répréhensibles de Bill. Or, une gifle en pleine rue sera le seul acte violent montré explicitement à l’écran, et la découverte de son méfait sera loin d’être aussi oppressant que ce que son potentiel laissait espérer.


Car à force de ne vouloir toucher à rien, de ne jamais sortir d’une forme très balisée, McCarthy se retrouve incapable de créer des images qui restent en tête. Demeure pourtant la séquence du match de foot, où les effets de foules suffisent à générer de la tension. A nouveau, Stillwater n’est jamais aussi bon que lorsqu’il admet sa faiblesse et se laisse submerger par Marseille, mettant son intrigue au second plan.


S’il fallait trouver encore une qualité au film, il faudrait encore une fois revenir à son écriture. En effet, le traitement de Bill, figure de « l’Amérique qui vote Trump », est admirablement abordé. Le personnage n’est jamais jugé, ce sont au contraire Camille Cottin et ses amis qui sont montrés comme méprisants lorsqu’ils abordent son origine sociale, ou le fait qu’il possède des armes.


Encore et toujours : script admirable, saboté par une réalisation de téléfilm. Scénario co-écrit par des français, réalisé par un américain : doit-on y voir une métaphore du film ?

J_J__Liagre
5
Écrit par

Créée

le 1 oct. 2021

Critique lue 746 fois

Jojo L’aigri

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