Tentative d'évasion
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le 28 août 2020
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Un triomphe s’inscrit dans ce grand genre du cinéma français qu’est le film rassembleur, au sein duquel deux catégories sociales (les gens de culture, propres sur eux d’un côté, et les classes populaire au passif délinquant de l’autre) vont surpasser leurs différences pour trouver le sens de leur existence. Intouchable en est évidemment l’exemple le plus connu, mais il y a à peine quelques semaines, La fine fleur embrassait aussi ce modèle scénaristique.
Au même titre qu’Intouchable, le film d’Emmanuel Courcol est tiré d’une histoire de vrai, mais une des premières différences à marquer entre les deux réside dans le choix du point de vue. De par le décalage entre classes sociales qu’il opère, le « film rassembleur » est nécessairement en partie comique, et il convient donc de s’interroger sur ce qui est drôle. Dans le duo Omar Sy/François Cluzet, « l’homme de culture » est un grand bourgeois aux pratiques déconnectées du grand public, c’est donc à Omar Sy que l’on s’identifie et qui avec qui l’on rit, ce qui évite au film l’aspect paternaliste que ne manque pas de choisir Un triomphe. Car dans le film de 2021, tout ce qui est drôle, c’est l’apparente inculture des prisonniers. Ils sont bêtes mais gentils.
Leur traitement de manière général est d’ailleurs étrange à de nombreux égards. S’ils ont droit à quelques scènes en dehors de la présence d’Etienne (le metteur en scène incarné par Kad Merad), elles sont presque toujours associées à la répétition de la pièce. Les conditions de vie en prison ne seront évoquées réellement par le film que par la fouille répétée à la fin de chaque soirée, tout le reste étant éludé pour éviter d’en faire un film trop social. De même, le passé criminel des protagonistes ne sera jamais explicité, car Etienne « ne veut pas savoir ». Le film, au lieu de nous inviter à dépasser nos préjugés, nous force tout simplement à ne pas en avoir, en passant sous silence tout ce qui pourrait apporter de l’ambiguïté à son récit. La troupe n’est composée que de gentils taulards, pas très malins et un peu agressifs parfois, mais surtout très motivés à réciter leur texte. Ils ne sont, en somme, que de bons élèves de CM2 qui, malgré l’immaturité associée à leur âge, feraient tous les efforts du monde pour avoir des bonnes notes. D’ailleurs, l’absence de passé des prisonniers (par opposition à Etienne, dont l’histoire est souvent évoquée comme moteur du film), contribue largement à les infantiliser.
Mais le grand sujet d’Un triomphe, finalement, derrière la pièce de théâtre, c’est l’égo du metteur en scène. Kad Merad incarne un ancien acteur raté, qui fait le coach en entreprise en apprenant le Haka à de jeunes cadres dynamiques. Il va donc projeter sur les prisonniers tous ses rêves de grandeur, et va chercher à atteindre à travers eux son sommet de gloire. Sujet passionnant donc : comment un homme blanc cultivé de plus de quarante ans (je suis pas woke, promis) va s’approprier la misère de marginaux pour construire sa propre célébrité. Le film nous assure qu’il prend cette thématique très à cœur, en nous rappelant toutes les dix minutes, par l’intermédiaire d’une ligne de dialogue, qu’Etienne est égocentrique, qu’il ne pense qu’à lui, qu’il ne fait tout ça que pour lui, etc… Mais si ce sujet passe exclusivement par les dialogues, c’est parce qu’Emmanuel Courcol ne sait pas réaliser. Sa mise en scène est toujours purement fonctionnelle, très premier degré. Et donc, quand dans l’acte final, Etienne s’approprie de la manière la plus littéral possible le destin des prisonniers pour réaliser des rêves à lui, jamais la réalisation ne questionnera son acte. On assiste alors à un moment lunaire où le film parait acclamer tout ce qu’il critiquait.
Dans une sorte de métaphore de lui-même, Un triomphe montre un type sans talent issu du monde de l’art qui s’empare de la misère des autres et se fait mousser par une audience de bourgeois parisiens en extase. La scène serait déjà insoutenable en elle-même, mais le fait qu’elle contredise frontalement tout le message du reste du long-métrage suffit à en faire l’un des séquences les plus abjectes de l’année.
Et là, certains s’insurgeront sans doute en disant que toutes ces analyses sont purement morales et politiques, et qu’on ne juge pas un film seulement sur ce plan-là. Ils auront raison (même si le fait qu’un film se contredise ouvertement me parait moins tenir de la morale que du manque de maitrise). Il va donc falloir parler de cinéma, et là, les choses sont encore pires qu’ailleurs.
Jusqu’à présent, la comparaison se faisait avec Intouchables, parce qu’on abordait le fond et que les deux cochent un certain nombre de cases en commun. Mais s’il s’agit de parler de forme, étant donné que le sujet est ici la mise en scène d’une pièce de théâtre, impossible de ne pas parler du formidable Drive my car, sorti il y a quelques jours. Là où le film d’Hamaguchi croyait sincèrement à la puissance du théâtre en laissant ses acteurs vivres, en observant la pièce se jouer avec une fascination contagieuse pour le spectateur, Emmanuel Courcol préfère un montage haché, multipliant les plans sur les visages d’Etienne et de l’audience des répétitions pour s’assurer que le public du cinéma saura comment réagir. On a même le droit aux rire des co-détenus, comme si l’on était dans une sitcom américaine.
Et dès que l’on sort de la prison, les dialogues perdent la vitalité superficielle des répétitions pour ne devenir que de banals champ-contrechamp, où des dialogues tout juste explicatifs s’enchainent dans un format de téléfilm (« tu ne penses qu’à toi », « à une époque j’étais acteur », « ça ne va pas être facile de les faire sortir », …). Mais dans un film qui n’aime pas vraiment le théâtre se pose forcément la question de filmer les représentations. Eh bien Courcol trouve une solution (plutôt habile), en les entrecoupant de péripéties. Les spectacles sont donc segmentées en sous-intrigues avec un modèle de problème-solution qui mise beaucoup sur le côté imprévisible des détenus, et qui bénéficie de l’aspect naturellement stressant de la pièce de théâtre pour embarquer le public dans une montagne russe émotionnelle constante.
La seule réussite d’Un triomphe sera donc d’angoisser ses spectateurs à l’idée qu’un spectacle rate, ce qui le rend donc plus proche du film d’horreur que du feel-good rassembleur. Peut-être Courcol vient-il d’inventer un nouveau genre ?
Créée
le 12 sept. 2021
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