En voyant un jeune inspecteur des impôts se rendre chez une vielle dame new-age pour auditer ses rêves sur K7 vidéo, on comprend assez facilement que le film ne se déroule pas dans notre monde, mais dans un monde alternatif où les K7 sont encore la norme et les rêves sont taxés par l'état. En reposant sur ces deux principes, Strawberry Mansion crée un univers unique et cohérent au sein duquel les plus grandes folies visuelles et scénaristiques sont à l'honneur.

Les K7 - L'esthétique de la nostalgie

La première chose qui étonne dans ce film c'est sa photographie, le grain et la colorimétrie de l'image sont assez uniques et chaque plan mis à part semble avoir été pris avec un polaroid. Ce retour en arrière esthétique vers les années 80 n'est pas quelque chose de novateur, nombre d'oeuvres récentes font ce pari et ce la plupart du temps pour de simples objectifs mercantiles (notamment depuis les succès de Stranger Things et les Gardiens de la Galaxie). Strawberry Mansion n'est pas de ceux-là, tout d'abord le rétro n'y est pas déposé gratuitement, le film suinte des effets vintages les plus stylés (via son esthétique mais aussi via sa bande son) et tout cela est justifié par le monde étrange dans lequel vivent les personnages. Le tout est porté par une musique hypnotique, que ses sonorités Synthwave tournent elle aussi vers le passé.

Les rêves - Le champ des possibles

Au delà de son esthétique rétro, Strawberry Mansion nous parle des rêves, et profite de ce sujet éminemment fascinant pour faire feu de tout bois en terme de créativité. Utilisant l'ensemble des moyens à la disposition d'un cinéaste pour convoquer un monde étrange (masques, collages, stop motion, décors, surimpression...), Audley et Birney s'inscrivent dans une tradition de films que j'adore, dont Jan Svankmajer est sans doute le représentant le plus illustre et qui a été reprise avec brio plus récemment par des cinéastes comme Gondry, Mandico ou des films comme l'excellent Brigsby Bear. S'il n'y a rien de plus triste qu'un film sur les rêves manquant de créativité, ce n'est clairement pas le cas ici, un véritable trip qui commençant à partir du moment où le protagoniste lèche la glace à la fraise (sorte de terrier du lapin moderne).

C'est d'ailleurs grâce aux rêves que l'élément dystopique fait son apparition, élément très bien trouvé (les industriels mettent des publicités dans les rêves), summum de l'intrusion consumériste dans l'individualité humaine, il nous montre que ce film n'est pas un simple délire visuel prodige mais qu'il a aussi pour but de faire réfléchir (un peu). En ce sens l'histoire d'amour ne m'a pas dérangé, cette histoire est belle comme l'est celle de 1984, car elle symbolise l'espoir dans un monde où il n'est plus permis.

L'utilisation des rêves du personnage n'est pas anodine non plus, ils servent de métaphore à l'évolution de ses sentiments et raisonnements et permettent donc d'assister à un film se déroulant sur deux plans différents : le protagoniste doit se battre dans la réalité mais aussi dans l'imaginaire s'il veut avoir le droit de rêver.

Strawberry Mansion est un film très étrange, souvent drôle, virtuose dans son imagerie, d'une créativité qui force le respect et non dénué d'intelligence. Ne cherchant aucun réalisme, il tire son charme de son aspect factice, lui conférant étonnamment un caractère plus immersif et provoquant des sensations accentuées pour les spectateurs. C'est donc être tout à fait sain d'esprit que de déclarer que ce film est sous-coté.

arthurdegz
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le 15 sept. 2022

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arthurdegz

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