Eruption existentielle au féminin

Stromboli est un film touchant, poignant et magnifiquement réalisé par Roberto Rossellini.


Le film brasse plusieurs thématiques, comme celle de l'intégration, celle du mélange culturel et social, celle des rapports hommes-femmes de l'époque, etc.
Des thèmes qui sont très intelligemment menés à travers l'intégralité du film.


Le ton néoréaliste du film est très plaisant et intelligent, ce qui amène très vite de nombreuses réflexions sur l'arrivée de cette femme étrangère dans une communauté si particulière et recluse.
Rossellini se refuse au piège constant du manichéisme. Il dépeint à la fois cette micro-société dans ce qu'elle peut offrir de simple et de plaisant en vivant dans la dangerosité, mais d'un autre côté, on sent qu'elle a ses défauts et ses limites, en témoigne les nombreuses personnes qui veulent quitter cette île.
Les conditions de travail y sont profondément rudes, les habitants n'ont de préoccupation que de partir trouver à manger s'ils ont le bonheur de ne pas revenir chez eux à la fin de leur journée pour constater les dégâts d'une éruption soudaine. Rossellini nous rappelle alors les conditions de vie de ces petites sociétés marginalisées que l'on peut avoir tendance à oublier et je trouve ça particulièrement intéressant de s'y être intéressé tout en confrontant ce monde à une personne venue de l'extérieur, le tout sur fond de décors magnifiques.


Certains trouveront peut-être le personnage de Karen agaçant mais cela n'a jamais été le cas pour moi. Rossellini a un tel talent pour diriger ces acteurs et donne toujours de la consistance psychologique à ces derniers afin qu'ils ne soient jamais inintéressants les uns les autres.
Le personnage de Karen est selon moi intéressant sur bien des aspects, tout d'abord parce qu'on ne pourrait la réduire trop rapidement à une emmerdeuse qui ne se plait tout simplement pas à cette société géniale. L'intégration est compliquée, il est vrai qu'elle cherche à imposer son mode de vie au sein de son foyer, mais dans ce village, tout est insalubre et sale, on comprend la difficulté de vivre dans ces conditions pour quelqu'un qui n'a jamais réellement connu cela auparavant - en particulier une femme. Elle cherche le raffinement et se confronte à un mode de vie plus rustre, plus terre-à-terre, plus simple, plus proche de la nature. On la voit essayer de prendre goût à ces aspects d'une nouvelle vie mais rien n'y fait : Karen n'est pas faite pour vivre dans cette société, elle n'a plus d'autre choix que de partir, une pensée qu'elle souhaitait réaliser depuis le départ. D'autant plus qu'elle ne fait rien de ses journées, son mari part pêcher, elle ne fait que s'ennuyer sur cette île sombre et menaçante. On comprend que la nervosité psychologique va atteindre ses limites un moment donné, et ça ne manquera pas d'arriver avec cette fin tragique.


Bon, il faut le dire, j'ai un faible pour le talent d'actrice de Ingrid Bergman, que je trouve toujours d'une justesse, d'une profondeur et d'une touche de finesse dans la simplicité que j'affectionne particulièrement. Son sourire, si peu présent dans ce film n'en est pas moins magnifique lorsqu'il fait son apparition. Cette femme incarne quelque chose, elle est envoûtante tout en restant profondément naturelle, il n'y a rien d'artificiel dans l'interprétation de son personnage. Je suis toujours sensible à son jeu d'actrice et ce n'est certainement pas ce film qui bousculera l'estime que je lui porte personnellement puisqu'elle est tout bonnement irréprochable une nouvelle fois.
Elle reste pour le moment mon actrice préférée, au coude à coude avec d'autres bien entendu.


J'ajouterais aussi un petit mot sur la photographie tout à fait sublime. Le noir et blanc donne un très beau rendu de ces magnifiques images, que ce soit lorsque Rossellini filme la mer, les rochers, les murs de la ville, les volcans en hauteur, etc. tous les paysages sont magnifiques grâce à ce travail esthétique réussi. On peut aussi ajouter que la mise en scène est particulièrement soignée, par exemple lorsque Karen se rend pour la première fois sur l'île et qu'elle a l'impression d'être dans un labyrinthe au milieu de tous ses murs où elle ne trouve jamais la sortie. Cette scène donne la tonalité générale du film : Karen se sent constamment prisonnière. C'est à la fois elle-même qui s'isole mais c'est également elle qui est marginalisée et très peu intégrée par le reste des habitants de l'île. J'ai aimé ce jeu subtil qui ne penche jamais d'un côté ou de l'autre car Rossellini entend nous dépeindre une certaine réalité avec une certaine prise de recul, suscitant ainsi des interrogations et une libre interprétation pour le spectateur.
Par l'utilisation de nombreux plans en hauteur afin de la voir se perdre dans cette ville, si petite paradoxalement, on comprend déjà toute la détresse que son avenir de femme isolée suppose.


J'ai également beaucoup apprécié les quelques moments de chant qui sont toujours bien placés et agréables à écouter, qui sont bien souvent sublimés par un travail esthétique de l'image, ce qui donne un rendu convainquant qui reste bien en mémoire.


Je serais certainement aller plus loin dans la notation si le final avait su prendre davantage de risques. Cette idée de mise en scène avec le côté grandiose des volcans pour accompagner l'appel à Dieu de la part de Karen est peut-être un poil décevant bien qu'il se comprend parfaitement dans une situation de détresse. On peut également remettre cela en perspective avec ses nombreuses confidences données au prêtre tout au long de son périple tourmenté.
Il en résulte que Stromboli reste remarquable et grandiose en un certain nombre de détails. Un film profondément marquant.

Tystnaden
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le 27 oct. 2020

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Tystnaden

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