Vous savez c'est grand ici, nous-mêmes on s'y perd parfois
Fasciné depuis toujours par le monde des délinquants et des déclassés, Luc Besson s'attache ici à suivre le destin tragique de deux personnages que tout oppose: le voleur n'a de cesse de se faire passer pour un grand de ce monde alors qu'il n'a aucun domicile fixe, tandis que sa proie est une femme de milliardaire en rupture avec un milieu qu'elle ne supporte plus. Chacun veut finalement s'immiscer dans l'univers de l'autre, mais leurs différentes tentatives seront systématiquement vouées à l'échec.
Le script de "Subway", parfois très maladroit, marche sur des oppositions binaires: monde souterrain des clochards contre univers raffiné des élites, gendarmes contre voleurs, amour contre autorité. Au milieu de cette société totalement compartimentée, où le destin de chacun semble inscrit dès la naissance, se débattent un certain nombre de personnages décalés, figures grotesques prises au piège d'un modèle préétabli.
Projet très ambitieux, "Subway" est également marqué par un esthétisme sublime. La réalisation virtuose de Besson éclate effectivement à chaque plan: la caméra virevolte et flotte dans les couloirs du métro avec une aisance extraordinaire pour l'époque. On comprend donc mieux pourquoi le public fut scotché par cette oeuvre novatrice sur le plan formel et ambitieuse sur le plan narratif. La présence des deux stars les plus hot du moment a également fait beaucoup pour transformer ce film en succès populaire. Isabelle Adjani était alors au sommet de sa carrière, tandis que Christophe Lambert sortait tout juste du triomphe de Greystoke. Ce duo très fashion est épaulé par un Michel Galabru impérial et de jeunes espoirs qui ont fait bien du chemin depuis, de Jean-Hugues Anglade à Jean Reno en passant par Jean-Pierre Bacri.
Totalement ancré dans l'esthétique urbaine et glaciale des années 80, ce second opus de Besson n'est pourtant pas exempt de défauts majeurs. Le scénario manque cruellement de structure et les personnages ne sont souvent que des figures archétypales dépourvues de la moindre psychologie. Grâce à une mise en scène impeccable, le cinéaste arrive à camper en quelques plans des caractères qui n'évoluent pas d'un iota par la suite, donnant l'étrange impression d'un film en points de suspension. L'ambiance surréaliste est variablement convaincante et de nombreuses séquences tombent à l'eau, comme si l'auteur se contrefichait finalement de ce qu'il raconte. Enfin, l'humour déployé ne fait que renforcer l'impression d'immaturité générale. Cela n'empêcha pourtant pas le film d'être le premier gros succès commercial de Besson, tout en obtenant trois Césars, dont celui du meilleur acteur pour un Christophe Lambert moyennement convaincant.
Improbable grand écart entre recettes classiques du cinéma d'action et poétisation du réel, "Subway" apparaît aujourd'hui comme un film hybride, aux influences multiples parfois mal digérées.