Snyder déclara vouloir réaliser un film d'action dépourvu des contraintes de la réalité et qui aurait tout de même du sens, mais aussi qui puisse critiquer la tendance au sexisme dans la culture geek. Pourtant, bien qu'aucun slogan ou déclaration ne le dise clairement, il suffit de voir les affiches ou les bande-annonces pour comprendre quelle est l'intention profonde de Sucker punch : tout simplement réaliser un rêve d'hommes logiquement impossible qui consiste en l'association de belles filles à de la castagne surdimensionnée.
Evidemment toutes les interprètes ont été sélectionnées pour leur physique, et qui plus est de sorte à correspondre à peu près aux goûts de tous, plutôt que pour leur force physique car aucune ne serait vraiment capable de sauter, courir et frapper pareillement, ni tirer, couper et démonter au cours de virevoltes tant d'ennemis. Surtout qu'en plus de la tonne de maquillage en permanence appliqué sur leur visage, elles portent des talons hauts et des petites tenues qui, dès le premier décor enneigé, devraient normalement leur faire attraper un rhume.
Mais justement afin de se séparer des chaînes du concret et du plausible qui empêchaient un tel fantasme de se réaliser, Sucker punch nous emmène dans les rêves d'une jeune fille qui a besoin d'une échappatoire. Ou plutôt dans le rêve de tout homme hétérosexuel pour qui ces femmes magnifiques, affublées de noms comme "Baby doll" ou "Blondie" qui les transforment en poupées objets de désirs, allient beauté et caractère badass.

Il serait ridicule de voir dans ce film un manifeste féministe, au contraire les personnages se plient à une image voulue par les spectateurs mâles. Evidemment l'histoire dans laquelle elles agissent est dès lors des plus simples, voire même trop simpliste pour ne pas être absurde au vu, entres autres, de certains raccourcis scénaristiques.
Toutes les internées de l'hôpital psychiatrique sont superbes, et un père peut facilement y enfermer sa fille en payant un gardien pour qu'elle soit lobotomisée, le marché se faisant même en présence de la concernée.
Zack Snyder semble littéralement dans un tout autre monde, le manque de logique se retrouve aussi bien dans la part imaginée de son histoire que dans celle censée se passer dans la réalité. Les limites lors du passage de l'un à l'autre sont brouillées, comme lorsqu'un personnage finit dans le monde réel ce qu'elle avait dit dans le rêve, mais rien ne peut expliquer certaines des grosses failles du script.

L'histoire est tellement basique, il s'agit d'une évasion qui pourrait être racontée en moins d'une heure, qu'il y a besoin d'agrémenter le film de rêveries spectaculaires.
Cependant, le passage du réel à l'imaginé n'est même pas expliqué. Contrairement à ce que laissaient croire les bandes-annonces, la thérapie du docteur Vera Gorski, qui dit à ses patientes pour qu'elles parlent de leur trauma qu'elles peuvent reconstruire des évènements du passé et contrôler la part d'imagination qu'elles y introduisent, n'a en fait aucun rapport avec la plongée dans la fiction pure dans la tête de Babydoll. Sans que l'on sache pourquoi, à chaque fois qu'elle se met à danser, elle ferme les yeux et se voit dans un champ de bataille à affronter des troupes d'ennemis. Le combat qu'elle invente mentalement représente la victoire d'elles et ses amies sur les employées de l'asile mais la fiction n'a aucune influence sur la réalité, et si l'une d'elles arrive à dérober un objet aux gardiens de l'institution, ce n'est pas dû à la victoire qu'a pu monter Babydoll dans son esprit.

La danse, à en croire ce qu'en disent les personnages, est tellement sublime qu'elle détourne l'attention des hommes, ce qui permet aux autres filles de voler ce dont elles ont besoin. Malheureusement on ne verra jamais cette fameuse danse, et à la place, puisque les deux se correspondent, nous avons les batailles épiques qu'imagine l'héroïne.
Dans les songes éveillés de Babydoll, Snyder livre un imaginaire en pagaille, mélangeant tout et n'importe quoi tant que c'est cool. Des nazis zombies dans un monde post-apocalyptique dévasté et traversé de tranchées sous un ciel rempli de zeppelins, des créatures démoniaques géantes inspirées du folklore Japonais, des mythes médiévaux qui rencontrent des créatures façon Tolkien, et un monde futuriste avec des robots. Les filles les anéantissent tous par des tranchages et coups de feu qui se ressemblent mais qui paraissent se renouveler grâce à une débauche d'effets visuels insensés, une caméra qui peut accéder à tous les recoins du décor, des ralentis qui permettent aux actrices de prendre la pose, des accélérés qui ont de l'impact, une stylisation constante, et quelques variations sur un même thème selon l'usage de l'environnement.
Un des trucaces les plus impressionnants n'est pourtant pas dans un combat mais dans une scène sans action, dans la loge des artistes, quand la caméra passe littéralement de l'autre côté du miroir, comme l'héroïne la plus connue de Lewis Caroll, ce qui ironiquement peut renvoyer à un des premiers slogans du film qui était "Alice in wonderland, with machine guns".

S'appropriant aussi un monde de jeu vidéo au début carrément jouissif, comme si Babydoll réussissait un level dès le premier coup en évitant comme il le faut les tirs du méchant gigantesque bien qu'elle prenne quelques coups déments qui rappellent forcément l'exagération de Watchmen, Sucker punch bénéficie d'un univers qui pioche de toutes part ses influences et donc très vaste, mais qui s'épuise assez vite. Il n'y a pas à nier que c'est magnifique et que même les créatures purement fictives que sont les dragons sont eux aussi très réalistes, la façon de reproduire ces éléments aux origines très hétéroclites est remarquable, mais l'admiration passe assez vite et rien ne vient la relancer. Malgré les petits changements, chaque combat se ressemble plus ou moins, comme le dit l' "homme sage" dans les songes il suffit d'aller dans un lieu et de tuer tout ce qui bouge, mais ce qui est dommage c'est surtout qu'il n'y a pas vraiment d'enjeu dramatique ou de sensation de danger : nous savons qu'elles vont gagner, et à chaque fois qu'un personnage est en difficulté il est évident qu'elle ne va pas mourir et que les autres vont surgir et tirer sur tous les ennemis. En effet, puisque nous nous trouvons dans l'esprit de l'héroïne, elle contrôle tout et ne peut se laisser mourir virtuellement. Les adversaires ne font que menacer sans oser tirer lorsqu'ils sont armés de pistolets, et même les coups les plus massifs que peut se prendre Babydoll ne lui font rien, elle se relève sans problèmes après s'être enfoncée dans le sol ou contre un pilier, et il lui suffit de quelques coups de sabre pour abattre un adversaire dix fois plus grand qu'elle.

Zack Snyder, pour une fois qu'il ne se charge pas d'une adaptation ou d'un remake, délaisse le scénario et mise tout sur les sensations qu'il peut transmettre au spectateur.
La séquence d'ouverture est une grande réussite, arrivant tout à la fois à éblouir par les images, imposer son rythme lent et pesant par des ralentis bien dosés, et transmettre une émotion au mieux grâce à une musique très bien dirigée en parfaite adéquation avec le montage, le tout très maîtrisé. Si Snyder n'arrive pas tant à s'exprimer par les répliques, il le fait merveilleusement bien avec les images, qui offrent comme une perception accrue de ce qu'il se passe, qu'il faille pour cela marteler la pellicule d'images de synthèses à foison et de tournoiements de caméra impossibles physiquement ou qu'il faille filmer des objets en gros plan pour les fétichiser et faire ressortir leur esthétisme à travers une contemplation de l'excès qui n'est pas sans rappeller des gros plans de Brian De Palma.

La fin présente cependant tout le film sous un angle nouveau, de façon complètement inattendue, car les révélations qui nous sont faites ouvrent à une profondeur du propos qui ne s'était pas fait remarquer jusque là. L'affiche Américaine disait bien "You will be unprepared" mais il n'y avait pas à prendre jusque là au sérieux ce qui semblait n'être qu'un divertissement décomplexé, or tout d'un coup Snyder dévoile que depuis le début il fallait ne pas prendre le récit à la légère, sans avoir prévenu qu'il fallait faire attention à autre chose que le grand spectacle. Seuls les spectateurs venus uniquement pour voir des sylphides démolir des monstres divers et gardant ça en tête jusqu'au bout peuvent ne pas être troublés, mais cela en ignorant seulement ce qui se cache vraiment dans Sucker punch. La part du public qui prend conscience de ce que Snyder a voulu faire de son film par contre atteignent un autre niveau de compréhension, mais qui embrouille rapidement. Le réalisateur a eu tort de se prendre pour Christopher Nolan car n'a pas réussi à donner à son film l'importance qu'il aurait pu avoir, le faisant passer pour un divertissement décérebré, ni même à faire coexister correctement la part de plaisir pur avec la part de scénario qu'il veut plus intelligent mais qui est finalement très illogique et cryptique concernant le passage d'un rêve à un autre ou à la réalité, et les liens entre eux.

"Rien ne sert d'avoir des images claires si les idées sont floues" disait Godard ; avec ses CGI présents jusqu'aux plans les plus simples qui prouvent que Zack Snyder préfère dans l'artificiel une beauté qu'il ne peut voir dans le naturel, Sucker punch a des images plus nettes que net qui font de l'émerveillement visuel sa plus grande qualité, mais le scénario et le fonctionnement de l'univers qui a été créé reste encore trop brouillon. Peut être faudra-t-il attendre le director's cut pour plus d'explications.
Cependant avec cette dernière réalisation, qui ne correspond plus à une oeuvre déjà existante à laquelle il ne fait qu'ajouter sa mise en scène qui en met plein la vue, Snyder fait preuve d'un esprit créatif qui, s'il continue sur cette voie en s'améliorant, pourrait faire de lui un artiste à part entière. Comme il l'avait déjà prouvé avec Watchmen et le confirme avec Sucker punch, il ne manque pas de talent pour quelques superbes idées de mise en scène, mais reste à voir l'évolution de son travail avec ses prochaines créations originales.
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le 16 avr. 2011

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Wykydtron IV

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