Vertigo : Quand la passion amoureuse devient vertigineuse

"Sueurs froides" est le 8e film d'Alfred Hitchcock que j'ai visionné et le 6e dans le cadre de mon marathon Hitchcock. Au fur et à mesure de la découverte de la filmographie du "maître du suspense", j'ai pu mieux appréhender l'univers du réalisateur et son talent rendant ses œuvres intemporelles.


Après avoir vu "Sueurs froides", impossible d'en sortir indemne en raison de ce scénario très bien écrit, de ces protagonistes attachants et surtout de la réalisation magnifique et indéniablement novatrice quant à l'utilisation des plans, des paysages et de la photographie. James Stewart et Kim Novak (alors âgée de 25 ans) forment un duo mémorable. Leurs personnages s'inscrivent totalement dans l'écriture Hithcockienne, avec d'une part le célibataire "vieux garçon", au physique vieillissant et au charme de séducteur et d'autre part la jolie blonde, jeune, élégante, sensible et intrigante (la représentation du modèle féminin parfait pour Hitchcock).


Dès la scène d'ouverture avec cette poursuite sur les toits de San Francisco et la confrontation de John "Scottie" Ferguson (interprété par James Stewart) à sa plus grande faiblesse (le vertige), l'empêchant de rattraper un délinquant en fuite et de sauver son collègue policier, victime d'une chute mortelle, Hitchcock nous présente la première tragédie qui va marquer le héros. Pour représenter l'acrophobie de Scottie, Hitchcock utilise ici pour la première fois la célèbre technique du travelling arrière et du zoom avant (inédite pour l'époque), afin de donner un effet de profondeur et rendre l'action plus saisissante et réaliste.


Suite à cet événement traumatisant, Scottie vit reclus chez sa confidente et "meilleure amie" Midge Wood, éperdument amoureuse de lui mais que Scottie rejette malgré ses nombreux efforts pour lui plaire. Cette relation évoque celle qu'entretient un certain James Bond avec Miss Moneypenny dans la saga cinématographique. Cela n'est pas anodin sachant que les premiers "James Bond" sont inspirés des œuvres d'Hitchcock, en particulier "La Mort aux trousses" ("North by Northwest"), sorti en 1959, qui influença fortement la mise en scène de "Bons baisers de Russie" en 1963.


Quand le héros décide de reprendre du service en tant que détective privé pour enquêter sur la femme de son ami Gavin Elster, Madeleine (interprétée par Kim Novak), il ne se doute pas que cela va l'entraîner dans un double piège liant la manipulation et l'obsession sentimentale. C'est à partir de là que commence réellement l'histoire. Évidement quand Scottie aperçoit pour la première fois cette mystérieuse femme qu'est Madeleine, c'est le coup de foudre direct.


La complexité du personnage s'explique par le fait que cette dernière est persuadée d'être la réincarnation de son arrière grand-mère qui lui ressemble étrangement tant physiquement que psychologiquement (les deux femmes ayant développé des tendances suicidaire et dépressive).


Afin de comprendre son comportement, Scottie va suivre Madeleine allant jusqu'à la sauver in extremis de la noyade. Leur rapprochement va transformer Scottie, qui ne pourra plus vivre sans penser à elle, allant jusqu'à développer une sorte de fétichisme dans son esprit. Quand survient le deuxième drame qui touche Scottie, avec la mort de Madeleine, la culpabilité va de nouveau le rattraper.


Mais lorsqu'il rencontre Judy, le sosie parfait de sa bien aimée, avec la grâce et la douceur en moins, il cherche à tout prix à la transformer en son idéal disparu. La découverte du collier que portait Madeleine sur Judy va lui faire comprendre la supercherie dont il a été victime et c'est ce retournement de situation qui rend ce film particulièrement marquant ! En effet, depuis le début tout avait été calculé. Gavin Elster avait préalablement tué la vraie Madeleine afin de se débarrasser d'elle, et pour maquiller ce meurtre en suicide, Judy, sa maîtresse et complice, devait jouer le rôle d’une Madeleine instable psychologiquement. Le témoignage de Scottie devant le Tribunal en tant qu'ancien policier, devait permettre d'innocenter Gavin et de classer l'affaire.


Le thème du crime presque parfait a déjà été exploité par Hitchcock à deux reprises sous forme de huis clos : en 1948 avec "La Corde" ("Rope"), dans lequel jouait déjà John Stewart et en 1954 avec "Le crime était presque parfait" ("Dial M for Murder"), adapté d'une pièce de théâtre. Il s’agit de l’un des thèmes phare de l’univers Hitchcockien, toujours mis en scène avec intelligence et qui nous procure une certaine fascination grâce au sens du détail apporté à chaque élément scénaristique.


Concernant la musique, Hitchcock a fait appel à son compositeur fétiche, à savoir le grand Bernard Hermann, qui, comme à son habitude, sait donner aux films une atmosphère vraiment prenante qui accompagne parfaitement l'action en la faisant vivre efficacement.


La scène finale dans laquelle Scottie décide de retourner sur les lieux du drame (où Gavin avait jeté le corps de la vraie Madeleine en haut du clocher) avec Judy afin d’éclaircir la vérité, est d'une particulière intensité. Scottie réussit à surmonter sa peur pour arriver en haut du clocher avec Judy mais un troisième drame survient : Judy, surprise par la voix d’une nonne, chute et meurt « définitivement » par accident. Clore l’histoire de cette manière, en écartant la « happy end », permet aux spectateurs de ne pas être déconnectés du fil conducteur : en effet, le film commence et se termine tragiquement laissant notre héros hanté par les remords.


En conclusion, « Sueurs froides » est probablement le film d’Hitchcock le plus abouti en termes de réalisation et d’inventivité. Si «Psychose » a contribué à créer le « slasher », « Sueurs froides » a de son coté contribué à poser les bases du « thriller policier dramatique » moderne.

P-Alex
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le 22 déc. 2020

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