La belle santé du cinéma de L'Europe de L'Est fait plaisir à voir. Les sorties consécutives ces derniers mois de "Ida", "White God", "L'Homme du Peuple" et "Zaneta" remettent en pleine lumière cette partie du continent, après quelques années de vaches maigres. Cette renaissance, après une percée déjà plus que prometteuse entamée avec "Eastern Plays", "Avé" et "Keep Smiling" lui redonne toute la place qu'elle mérite. Il faut noter que cette redécouverte de l'ancien bloc communiste est l'heureuse affaire de jeunes cinéastes qui tentent de dessiner une nouvelle carte sur l'échiquier du cinéma mondial.
A quoi tient donc la réussite de cet élégant parcours initiatique? Peut-être au fait que peu d'échos nous parviennent de la Lituanie, ancienne chasse gardée de L'Ex-URSS ayant gagnée son indépendance au début des années 90 suite à l'éclatement de L'Empire Soviétique. Ce petit pays, situé au bord de la mer Baltique, est neuf sur le plan du 7ème art comparé à ses voisins tchèques et polonais. Vilnius, cadre de l'histoire ici contée, possède le charme champêtre des petites villes. La rencontre impromptue de deux jeunes filles marque le départ d'un basculement identitaire nécessaire. Prélude à une nouvelle maturité, elle nourrit un film qui n'est jamais aussi réussi que lorsqu'il bascule dans une atmosphère à la frontière du réel.
En effet la réalisatrice, plutôt que de s'en tenir à un parcours balisé, choisit un angle tout à fait singulier. Tandis que Hollywood aurait tôt fait d'aseptiser le schéma narratif pour en faire une rom com banale, il est ici surtout question de recherche sur soi. Ainsi l’héroïne se laisse t'elle séduire par le charme troublant et ingénu de sa nouvelle amie sans trop y croire. Elle ne se laissera véritablement déborder par ses émotions que lorsqu'elle décèlera en l'autre un charisme et une compréhension du monde qu'elle s'érige comme protection. Cela passe beaucoup par le regard et la sensualité qui émane de sa partenaire. Seules ou en groupe, leur union autorise un certain lâcher-prise qu'une réalité revêche ne permet pas d'exprimer. Hors du monde, la jeune femme blafarde se révèle lumineuse. Sa comparse est l'ange gardien qui lui ouvre des portes alors inconnues.
Pas de sélection à Cannes et encore moins de Palme D'Or, et pourtant. Dans un contexte certes tout à fait diffèrent, Kechiche s'embourbait à trop figurer la passion charnelle. Kavaité s’intéresse elle moins à la pulsion corporelle qu'à la raison d’être de cette relation. Elle n'élude pas cette découverte de la passion féminine et sait filmer les élans avec ferveur. Mais ce qui la questionne en premier lieu, c'est le cheminement qui fera de l'une un être plus sur de ses forces et de l'autre une sorte de veuve éplorée. L'inversion des rôles se conjugue avec une certaine âpreté du regard. L'adolescence est l'age de tous les possibles, dit-on. Il est plus surement l'age des temps obscurs. Autre différence notoire avec son homologue palmé: le milieu social était assez grossièrement représenté et le lien parental ne rattrapait rien chez Adèle et Léa. Ici ils n'existent que pour mieux valoriser la finesse d'esprit d'un univers ou les adultes ne sont pas essentiels. A peine les aperçoit-on ici ou la, et dans des scénettes plus amusantes qu'autre chose. La mère prend bien une importance plus conséquente vers la fin, pour mettre en évidence l'évolution de sa fille. Mais on taira la raison pour ne pas dévoiler la belle idée.
Le motif récurent de l'avion, s'il est d'abord perçu comme un leitmotiv un peu simpliste au début, est ensuite révélateur de la personnalité anxiogène de l’intéressé. Il donne à voir une liberté vers laquelle essaye de tendre une enfant craintive. Il dénote aussi l'abyme vertigineux dans lequel elle s'enferme, absente à elle-même et aux autres. Nous en avons la confirmation tout au long de ce gracieux poème par les choix de mise en scène de l'auteure. La scénographie se découpe en plans larges et mouvants lorsque celle-ci épouse la trace des deux amantes. Libération tant formel qu'émotionnel du cadre, donc des conventions. Elle prend plus de hauteur lorsqu'elle s'insère dans l'esprit torturé de la sauvageonne. La grande force du récit est de savoir parfaitement alterner ces valeurs de plans pour mieux nous immerger dedans.
Est-ce un hasard si l'influence de la Nouvelle Vague se fait assez sentir? il est fortement tentant de répondre par la négative tant certains passages relèvent de l'inspiration assumée. La muse et son modèle rappelle étrangement Godard. L’échappée belle des deux effrontées est quant à elle vaguement similaire à leurs cousines germaines tchécoslovaques des "Petites Marguerittes" de Vera Chytilova. Et les chemins divergents qu'elles prennent inéluctablement sont bien dans la droite lignée d'un certain cinéma d'avant-garde. Surtout les deux actrices principales savent brillamment s'écarter des stéréotypes d'adolescentes criardes et frivoles pour diffuser une jolie mélancolie de l'amour. Captées aux plus près de leur intimité, elles savent érotiser leur présence sans aucune vulgarité.
Vous l'aurez compris, il vous est vaillamment recommandé de vous précipiter dans la salle obscure la plus proche de votre domicile pour savourer ce délicieux plat estival. Doux-amer, il n'en conserve pas moins un petit gout sucré qui fera salir d'envie vos papilles alléchées de cinéphiles. Et s'il vous reste un arrière-gout de sel en fin de séance, c'est que ce plat de résistance aura eu l'effet escompté sur vos estomacs rompus par un met aussi fin.