Summertime par Patrick Braganti
Le motif de la fratrie, de la famille qui part à vau-l'eau et qu'on aimerait voir se reconstituer dans le sud des États-Unis, territoire de la ruralité, de la marge et de la pauvreté, il n'est bien sûr pas nouveau tant il essaime la littérature et la cinéma, souvent d'ailleurs pour donner à lire et à voir le meilleur. Cependant, on est toujours curieux de savoir ce qu'un novice (Matthew Gordon qui signe là son premier long-métrage, présenté au dernier festival de Deauville) va faire de ce matériau à la fois noble et galvaudé.
Curiosité ô combien satisfaite et récompensée avec Summertime (titre français de The Dynamiter), film remarquablement tenu sans artifice ni pathos qui vous colle à la mémoire comme le tee-shirt poisseux de Robbie Hendrick lui colle à la peau. Pour l'adolescent qui va fêter ses quinze ans, c'est un été déterminant qui s'avance vers lui. En charge d'un demi-frère grassouillet et d'une grand-mère mutique, délaissé par une mère barrée en Californie et par un père inconnu, Robbie espère dans le retour de son aîné Lucas la perspective d'un redémarrage. La déveine reste évidemment toujours du même côté, celui où les miséreux, les travailleurs pauvres et les laissés-pour-compte entrevoient de manière de plus en plus floue et lointaine un rêve américain définitivement hors de portée. Summertime repose presque entièrement sur les épaules du jeune Robbie, qui admire et idéalise son grand frère dont il possède déjà le physique robuste et musclé, ce qui ne l'empêche pas d'endosser avec cran et résignation le rôle du chargé de famille, en protégeant et éduquant le fragile Fess et en acceptant un travail ingrat pour l'été. Une saison qui, au cœur de la nature luxuriante des rives du Mississippi, est synonyme d'extrême chaleur et de moiteur étouffante. Une sensation parfaitement perceptible à l'écran tant Matthew Gordon parvient en effet à capter et rendre une atmosphère de torpeur qui imprègne les mouvements syncopés des acteurs – au passage, tous de formidables non-professionnels au premier rang desquels le magnétique William Ruffin.
Élève bagarreur, Robbie se voit confier la mission par le directeur de son école de rédiger une dissertation durant ses vacances. Cette pirouette scénaristique a le mérite de faire entendre en voix off les réflexions (et donc les écrits) teintés d'amertume et d'une triste lucidité de Robbie. Summertime parie sur la sobriété, la saisie au plus près des corps et des visages et montre dans une approche sensorielle la trajectoire d'un adolescent livré à lui-même et devant prendre son destin en main puisqu'aucun adulte n'est assez fiable pour le soutenir et le conseiller. Sans fioritures, avec une rugosité qui n'annule jamais la douceur réelle qui se dégage de l'ensemble, Matthew Gordon ne souffre aucunement de la comparaison avec Jeff Nichols, autre nouveau venu particulièrement doué dont la première œuvre Shotgun Stories empruntait aussi à la thématique des familles déchirées et belliqueuses. Moins violent, plus dépouillé et plus tendre, Summertime se révèle une vraie réussite, mélange subtil de documentaire et de romanesque dans un style élégiaque et organique.