C'est l'ambiance vraiment crade, à plusieurs niveaux, qui constitue le principal intérêt du film de Roland Klick. Une saleté émanant d'une certaine volonté de réalisme, on imagine, et non gratuite. Tout est très sombre, que ce soit visuellement avec une incessante plongée dans les quartiers industrialo-miséreux (filmés dans la région de Hambourg), ou dans le fond, dans le propos, avec la spirale infernale de violence et de mouise dans laquelle s'engage bien malgré lui le protagoniste Willi. Willi, l'archétype du pauvre type en galère qui tente tant bien que mal de survivre quand tout les éléments semblent s'opposer à son sens de la débrouille un peu particulier, dans une RFA en pleine déliquescence. Étrange atmosphère.
Le film est rempli de ruelles sales et étroites, de bâtiments désaffectés aux vitres cassées et aux murs en lambeaux, d'appartements exigus. Et quand on se retrouve dans un bureau de police ou dans une résidence bourgeoise, ce n'est que pour enfoncer un peu plus dans sa misère une petite frappe qui cherche simplement à s'en sortir quand tout le monde, policiers, journalistes et autres copains d'infortune, ne cherche qu'à tirer profit de son existence et à l'exploiter. Quelque part, seule la prostituée, l'unique personnage se trouvant dans une situation dégradante semblable voire pire que la sienne, ne cherchera pas à le manipuler. Ils forment un couple fébrile, marginalisé, mais qui leur confère l'énergie du désespoir mis en commun.
Une vision franchement pas très optimiste de la société allemande des années 70, un peu unilatérale dans sa noirceur mais sans pour autant confiner au stéréotype. Il n'y a aucun parti pris, aucune leçon de morale, aucune justification, aucune glorification, aucune condamnation : tous égaux dans la misère et la bassesse, tous s'engouffrent à leur niveau dans la logique des petits arrangements. Le film a un petit côté prédictible, étant donné l'engrenage dans lequel Willi se retrouve entraîné dès la première séquence, mais "Supermarkt" parvient tout de même à instaurer un certain malaise, très différent de celui que "Bübchen" (1969) pouvait développer autour de la famille.
Le contrepoint offert par la ritournelle musicale de Marius West, morceau anglophone lancinant qui revient à de nombreuses reprises, achève de conférer au film une dimension vraiment étrange.
Marius West & Roland Klick - Celebration : https://www.youtube.com/watch?v=PLa3sRe7jP0