On savait Clint Eastwood philosophe à ses heures perdues, tant certains de ses films se font méditatifs et réfléchis, derrière le vernis parfois envahissant de la violence. Ici, le cinéaste américain nous prend à contrepied. Il délaisse ses héros vengeurs et taciturnes pour nous offrir un drame terriblement romantique.


Mais la grande force d'Eastwood, c'est qu'en reprenant une trame tout ce qu'il y a de plus convenue (en apparence), il déjoue un à un les clichés et autres chausse-trappes narratifs et visuels. S'il est vrai que tout récit est bâti autour d'une tension irrépressible, « Sur la route de Madison » est construit sur cette opposition entre deux personnages aux personnalités et aux histoires diamétralement opposées et complémentaires à la fois. Sur la tension d'un amour interdit et puissant, de rêves terriblement humains.


L'histoire est simple et forte à la fois. Francesca (sublime Meryl Streep) est une Italienne qui s'est mariée à un G.I. rencontré dans son pays natal. Elle l'a suivi en Amérique, dans l'Iowa et le comté de Madison, et a fondé avec lui une famille de deux enfants. Elle semble tout avoir pour être heureuse, mais son mari un peu rustre, bien qu'aimant, et ses enfants distants à mesure qu'ils grandissent ne parviennent à la satisfaire totalement. Elle avait d'autres rêves, et manifestement son mari n'a pas su les lui offrir.


Quand arrive dans la région un photographe du National Geographic, Robert Kincaid (formidable Clint Eastwood), un baroudeur venu photographier les ponts du comté de Madison (d'où le titre original en anglais). Il s'égare et fait ainsi la rencontre de Francesca, alors que son mari et ses enfants sont partis pour quatre jour à une foire agricole dans l'Illinois. Peu à peu, Robert et Francesca s'apprivoisent, et tombent amoureux fous l'un de l'autre.


La grande force de ce film est la finesse avec laquelle Eastwood filme ses personnages évoluer. Leurs sentiments s'intensifient peu à peu, tout se joue dans les gestes, les regards. Au début, nos deux personnages restent avec la distance qui sied à la condition de femme mariée de Francesca (on est alors dans l'Amérique des années 60). Puis ils basculent progressivement dans un amour enflammé, tant ils semblent faits l'un pour l'autre, chacun complétant l'autre et venant lui apporter ce qui lui manquait.


Mais si Eastwood réalisateur mérite des louanges, c'est véritablement Meryl Streep et le Clint Eastwood acteur qui font du film un chef-d’œuvre. Le jeu de Meryl Streep est très naturel et nuancé, il sied parfaitement à son personnage complexe. Francesca est en effet de culture européenne et se sent déracinée aux États-Unis, où peu de gens savent placer l'Italie sur une carte. Robert quant à lui connaît l'Italie et même la ville de naissance de Francesca. Avec son expérience aux quatre coins du monde, non seulement il est le plus à même de lui rappeler un passé aimé, mais aussi de l'ouvrir à des destinations incroyables dont elle ne peut que rêver, elle qui est assignée à résidence pour s'occuper des animaux de la ferme et de sa famille.


Robert, quant à lui, est un homme libre, divorcé, sans attaches et qui en même temps aime les gens qu'il rencontre lors de ses voyages. C'est à la fois un homme seul et constamment entouré, avec des amis partout dans le monde. Eastwood sert à merveille la complexité et la finesse de son personnage, galant et cultivé. C'est peut-être sa meilleur performance d'acteur, du moins parmi celles que j'ai vues jusqu'à présent, tant c'est un modèle de subtilité. Il rend son personnage terriblement attachant...


Le thème du film, la magnifique façon dont il est traité, l'interprétation extraordinaire, tout cela donne à cette expérience cinématographique une profondeur et une intensité saisissantes, amenant le spectateur a réfléchir à sa propre vie, rien que ça. Alors que l'on suit nos deux héros, la philosophie de la vie et la conception de l'homme et de la femme qui sont ainsi dessinées, en intégrant toute la complexité de l'existence humaine et ce qu'elle a de meilleur, nous emplit d'un bonheur certain.


De toute évidence, un très très beau film, que je ne peux que recommander.


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
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le 29 sept. 2019

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Arthur Debussy

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