"Sur les cimes, tout est calme" (titre tiré d'un poème de Goethe) est un travail expérimental réalisé par deux archivistes italiens à partir d'images prises durant la Première Guerre mondiale. La caractère expérimental de l'œuvre est cependant à relativiser, car Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ont avant tout cherché à redonner vie à des négatifs extrêmement abîmés : c'est aussi un travail de restauration. Avec sa colorisation extrême, ses ralentis et ses accélérés, sa pellicule brûlée à de nombreux endroits, le film expérimentalo-documentaire délivre une vision hallucinogène des batailles entre soldats autrichiens et italiens dans les Alpes.
Le contenu n'est pas directement identifiable et ne peut s'appréhender qu'après un temps d'adaptation au procédé de restauration. De ces amas de couleurs et de ces contours incertains émergent peu à peu, notamment grâce aux ralentis / répétitions / agrandissements, les visages de soldats des deux camps, des blessés, des champs de batailles, des pièces d'artilleries, et mêmes des animaux. L'effet du temps sur la dégradation du film nitrate accentue la fatigue et la souffrance (apparentes ou avérées) des soldats, rendues à l'écran sans commentaire et dans un environnement sonore minimal. Des détails sont parfois progressivement agrandis et laissent une empreinte puissante, indélébile, alors que la séquence précédente se laissait aller à une divagation détachée de la violence des combats, pastorale, presque poétique.
Et partout, ces silhouettes humaines qui tendent vers d'étranges amas à la limite de l'abstrait. Autant de fantômes qui peuplent ces paysages désolés et qui font de ce document un témoignage de guerre d'une incroyable originalité.
[AB #195]