Étrange sensation que celle de s’installer dans une salle de cinéma en 2023 pour voir se déployer l’univers du dernier Makoto Shinkai, et retrouver tout un passé de la culture manga d’il y a presque quarante ans, entre la romance de Candy et cette vision solaire d’un Japon de carte postale. Qu’on ne se méprenne pas, il n’y a là aucune médisance, mais plutôt un étonnement assez bienvenu, à l’heure où l’animation ne passe plus par la 3D de synthèse, et que les œuvres nippones qui parviennent jusqu’à nous, en dehors des adaptations de manga, se limitent depuis la fin du règne de Takahata et Miyazaki (en attendant le retour imminent de ce dernier) aux espacées productions de Shinkai et Osoda.
Il faudra donc passer par tout un décorum et une certaine mièvrerie dans la romance, ainsi qu’une codification visuelle très marquée pour accéder au réel propos d’un long métrage qui recycle les obsessions de son réalisateur. C’est là sa force que de proposer une œuvre qui a tout des retrouvailles – certains appelleront probablement cela du fan service, mais n’étant ni amateur éclairé, ni le public cible, on se contentera d’y voir résonner une nostalgie lointaine.
Passé ce filtre culturel, il faudra en croiser d’autres, bien plus intéressants, sur la culture japonaise, son bestiaire divin et cette question toujours passionnante de la cohabitation du monde spirituel en sous-couche du réel. Shinkai ménage ainsi un road movie qui rappellerait presque le dispositif du Nils Olgersson de Selma Lagerlöf qui, pour répondre à une commande éducative sur un livre de géographie nationale, imagina un périple merveilleux. Le Japon est donc traversé du Sud au Nord, dans une structure légèrement redondante où il s’agit de fermer des portes magiques, l’occasion de visiter les ruines d’un pays fragiles, qui laisse dormir les vestiges de ses catastrophes (glissements de terrain, séismes, tsunamis, mais aussi faillites).
Ce récit initiatique, qui joue avec les ambiguïtés si fertiles du surnaturel shinto où le manichéisme n’est pas de mise, évoquera autant le deuil intime que le tragique à l’échelle nationale, et parvient sur ce point à varier avec une fluidité visuelle remarquable les enjeux individuels et collectifs. Le spectaculaire s’enrichit à chaque occurrence (l’idée de la roue, puis du métro au cœur de la mégapole), et la richesse des personnages secondaires croisés au fil des rencontres compose une petite comédie humaine qui suscite une véritable empathie.
C’est là que se situe la réussite du récit, qui ne ménage pas ses grands effets visuels, sans jamais perdre de vue l’humanité de ses protagonistes. La romance finit par devenir presque secondaire, notamment par l’assez audacieuse idée de substituer au bellâtre un objet transitionnel dont le rôle éclipsera la banale amourette d’adolescente pour aborder de plus graves questions.
Au-delà du divertissement chromatique et lyrique, Suzume atteint donc une dimension culturelle qu’on pourrait rapprocher du conte philosophique : aux japonais, il donne la force d’affronter l’instabilité d’une terre sans cesse à la merci des tremblements. Au reste du monde, il diffuse des croyances et une esthétique qui n’appartiennent qu’à lui, renouvelant avec un talent certains toutes les fonctions didactiques et résilientes de la mythologie.