Surprenant. Surtout pour 1930.
Le cinéma des années 1930 me laisse souvent perplexe. Ce média qui découvrait la synchronisation son-image se montre souvent comme du muet affublé de son. Dans certains films de cette époque, il y a peu de musique, ou bien elle n'est pas utilisée selon nos standards, ou bien on a affaire a du théâtre filmé genre Lubitsch, très bon mais pas parfait au niveau formel.
Quelle surprise en voyant dans un film si précoce une si bonne complémentarité son-image. Ajoutez à cela un univers fort cosmopolite pour un film hollywoodien : l'histoire commence en France, dans des mansardes parisiennes, où un musicien-mage hypnotiseur désargenté hypnotise une jeune fille pour en faire une cantatrice. Il l'arrache par là à l'homme qu'elle aime, un jeune homme ami de peintre anglais.
Svengali, dont le nom revient sans cesse comme une incantation, parle en anglais, en français, mais a probablement des origines allemandes (les événements importants lui arrachent des mots allemands). Il fait penser à la figure du Juif errant, mais également, bien sûr, à Raspoutine, bref un personnage assez ignoble. Il peut lire les pensées de sa protégée, la soumettre à sa volonté, mais elle ne l'aime pas, et il refuse de forcer ses sentiments. Surtout, étouffer l'amour de la jeune fille l'oblige à puiser dans ses réserves vitales : il meurt à ce jeu.
La mise en scène, par le simple biais de la suggestion de la caméra, parvient à faire comprendre les mystérieux pouvoirs du mage. Le début a beau faire penser à du Kammerspiel, il y a quelques beaux tours de force, dignes de Murnau. Outre les effets spéciaux autour des yeux (scintillement, auréole cernée d'ombre...), on pense au formidable travelling arrière qui montre Svengali à sa fenêtre, suivi d'un travelling avant sur les toits jusqu'à la chambre de Trilby, ouverte par un vent surnaturel : la volonté de Svengali convoque sa victime ! Il y a même des jeux subtils, comme cette forme de pierre tombale autour de laquelle la caméra tourne, et qui se révèle être... une borne, symbole du trajet de Svengali et de sa captive loin de Paris.
Surtout, la musique joue un rôle à part entière : dès le début, quand Svengali fait répéter une cliente dont il se lasse, sa mine défaite en jouant du piano coïncide avec son jeu volontairement lent, comme s'il s'abaissait à un niveau médiocre, jugé indigne de lui. Très efficace.
Svengali est donc un roman noir (Daphné Dumaurié) adapté avec un style expresionniste inspiré de Murnau. Ah, et sinon Marian Marsh est très belle et très touchante. ^^