SWAGGER (15,5) (Olivier Babinet, FRA, 2016, 84min) :
Ce documentaire atypique rafraîchissant dépeint à travers le portait de onze collégiens de la ville d’Aulnay-sous-bois (en banlieue parisienne) les ressentis et les aspirations des adolescents vivant dans ces quartiers que l’on a coutume de nommer avec désobligeance « quartier difficile ». Olivier Babinet réalisateur découvert au cinéma en 2010 avec un road movie décalé Robert Mitchum est mort. Après avoir passé deux ans de résidence au collège Debussy à Aulnay pour des ateliers de fabrications de films en collaboration avec la professeure de français l’idée de tourner un film au cœur de cette cité avec les collégiens est apparue comme une évidence et cela débouche sur ce projet Swagger . Un titre dont l’usage moderne ne doit pas nous faire oublier l’usage désuet de ce mot anglophone que l’on retrouve dans la célèbre comédie de Shakespeare « Le Songe d’une nuit d’été » publiée en 1954 et dont la signification correspond en français à « fanfaron ». Donc ce programme nous invite à suivre comme dans un conte moderne ces 11 fanfarons dans leur vie de collégiens et d’habitants de tour HLM « trop grandes ». La mise en scène nous invite d’entrée de jeu à un magnifique survol de ces tours de plus de 3000 logements sociaux de façon majestueuse jusqu’au titre du film qui vient se poser judicieusement au-dessus de Paris aux côtés de la Tour Eiffel scintillante embellie par sa robe à paillettes. Dès le générique le conte nous enchante et la première image du collège confirme cette impression avec la vue de lapins déambulant à l’intérieur de l’enceinte de l’école. Puis le dispositif se met en place et on découvre les premiers protagonistes sous forme de portraits intimistes déclinants chacun leur identité ou éprouvant des difficultés à le faire comme Aissatou petite fille peu sûre d’elle se sentant invisible et peu aimée. La mise en scène formellement ambitieuse aidée par une remarquable photographie propose de donner la parole à ces gamins marginalisés par les médias, elle entrecroise les champs contre champs, les montages croisés qui se répondent pour donne corps à des analyses tour à tour, alarmantes, pertinentes, des rêveries et des anxiétés qui devraient interpeller les politiques actuelles oubliant cette population et la fameuse promesse de mixité sociale. En effet les mots de ces adolescents cinégénique frappent justes et leur candeur offre un miroir non déformant de leur réalité parlant de « français » à la place de « blancs » et rappellent avec stupeur que la discrimination est déjà ancrée dans leur processus de pensée, certains d’entre eux s’étonnent même du terme « français de souche » : c’est quoi souche ? S’interroge une jeune fille. Au fil des interviews les questionnements invitent à mieux découvrir chaque personnalité avec leur malice, leurs rêveries et leur bon sens, on découvre Mr Régis jeune garçon rondouillard fan de soap opéra, « sapé comme jamais » pour aller en cours et futur star du stylisme tant son bagout et son naturel font de lui la star du documentaire. On s’étonne devant Naïla 12 ans donnant un cours d’architecture sociétale et peureuse de Mickey et Barbie, on s’enthousiasme pour Paul l’indien aidant ses parents (ne sachant ni lire ni écrire) pour les démarches administratives tout en s’adonnant avec talent à la batterie où en danseur digne de Fred Astaire dans une chorégraphie digne d’un film de Jacques Demy. On s’attendrit devant Aaron, Salimata et les autres, tant tous sont de formidables révélateurs d’une société en souffrance et à l’énergie contagieuse inexploitée. Le cinéaste regarde de l’autre côté du périphérique avec une tendresse salvatrice, et illustre certains rêves des adolescents en insérant de la fiction pour mieux enchanter le réel, par le biais de ballet de drones en mode science-fiction, de magnifiques travellings avants ou arrières pour s’immerger au mieux au cœur de la cité et des appartements, pour générer de véritables comédies musicales ou montrer la réalité des guetteurs de trafics de drogues sans sombrer dans l’aspect reportage en immersion. Une réalisation qui ne cesse de se réinventer au fil du récit trouvant toujours le meilleur angle de vue pour illustrer les propos de ces kids attachants. L’aspect religieux n’est pas omis non plus et l’on découvre à quel point ce multi culturisme s’imbrique parfaitement dans l’univers et dans la vie quotidienne de tous les croyants d’Aulnay. Olivier Babinet avec talent multiplie les va et vient entre le réel et l’imaginaire sans jamais tomber dans le misérabilisme loin des reportages anxiogènes en « zone interdite » diffusés à longueurs de temps sur nos chaînes de désinformations. Un docufiction intelligent enveloppé par une musique inspirée et hypnotique originale de Jean-Benoît Dunckel et des ajouts de titres additionnels aux bons sons hip hop ou rock and roll comme When you said goodbye de Jerry Arnold. Venez découvrir cette jeunesse « fanfaronnant » made in France 2016 dans l’étonnant Swagger. Un portrait choral, drôle, touchant et réjouissant.