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Il aura fallu le succès du superbe JSA pour que Park Chan-Wook puisse commencer à monter son Sympathy for Mister Vengeance, un projet écrit des années auparavant que personne ne voulait produire du fait du pessimisme profond de son histoire. Un film qui se pose comme premier pan de la trilogie de la vengeance du réalisateur, explosant à l’international avec le sensationnel Old Boy l’année suivante.


L'œuvre est bicéphale, proposant une première partie où l’on suit un couple de marginaux malmenés par la vie. Ryu est sourd-muet et travaille à l’usine pour subvenir aux besoins de sa sœur malade. Suite à son licenciement économique, il se tourne vers le marché noir pour espérer obtenir un rein, mais se retrouve dépouillé pécuniairement comme organiquement. A partir de là s'échafaude un plan, celui de kidnapper une gamine pour obtenir l’argent nécessaire à l’opération de sa frangine. Tout concorde à ce que cela tourne mal, de l’incapacité de Ryu à communiquer avec la société de par son handicap (physique et social), de par la caméra qui coupe les scènes de façon à faire des micro-ellipses qui parlent d’elles-mêmes pour que l’on tire des conclusions soi-même des différents plans échafaudés, et de par la naïveté de sa compagne (Bae Doo-Na) assurée d’avoir le rapt parfait à l’esprit. La catastrophe est inéluctable, sans jamais que le cinéaste ne verse dans le pathos. La musique est discrète, laissant place à de nombreuses cacophonies que ne perçoit pas Ryu, emmuré dans son monde du silence, tout juste apte à capter les vibrations d’un monde qui fourmille, qui tente de survivre dans une lutte des classes inégale.


La seconde partie nous fait suivre Park Dong-jin (interprété par l'inénarrable Song Kang-ho), le père de la fillette enlevée. Alors qu’il était figurant dans la première moitié du métrage, c’est au tour de Ryu de passer au second plan. On s’est déjà attaché à ce dernier, on s’est rangé dans son camp. Il est désormais temps de suivre l’autre versant de la tragédie, de créer une dissonance émotionnelle chez le spectateur. Puisque l’on connaît l’issue de l’enlèvement dès le titre, on sait à quoi on va assister. Une quête vengeresse qui voit un homme honnête, lui-même issu du bas de l’échelle social et ayant gravi les échelons pour finalement être ciblé pour sa réussite financière, perdre son humanité au fur et à mesure qu’il agit. La violence se déchaîne dans un tourbillon sans haine, qui n’a pour moteur que la réciprocité de la douleur. On s’attache à Park Dong-jin, on comprend son deuil et sa rage, mais on ne cautionne pas ses actes, pas plus que ceux de Ryu.


Et lorsque arrive le dénouement attendu, on est déchiré par ce que nous a fait vivre le film, par deux personnages que l’on a pris en empathie malgré leurs objectifs diamétralement opposés. Tout au long du film, la violence est enveloppée d’une douceur à l’image. Que ce soit l’amour entre Ryu et sa sœur ou sa compagne, les moments de douceur avec la petite Yu-Sun, les bruits de la nature rassurant avant la bascule, et la profonde humanité des personnages présentées, Park Chan-Wook prépare le spectateur à l’histoire résolument noire qu’il veut dérouler en lui proposant des touches de lumière. Un travail d’équilibriste maîtrisé de bout en bout, alliant parfaitement film social, polar et tragédie, qui deviendra précurseur des deux décennies de cinéma coréen qui suivront.


Critique de Lady Vengeance



Bonus:

Rencontre avec Park Chan-Wook (15 minutes)

Une interview du réalisateur qui s’attarde principalement sur l’écriture du scénario et la difficulté qu’il a eu a trouvé les financements tant les producteurs étaient frileux à l’idée de faire un film aussi sombre. Le carton de JSA en 2000 a fait du réal’ une star, lui ouvrant alors des portes jusque alors fermées, et lui permettant d’avoir la carrière qu’on lui connaît aujourd’hui. Le film à quant à lui reçu une réception très mitigée, sortant des carcans habituels de la production de l’époque et jugé comme trop sordide, sans fond. Il aura fallu quelques années pour qu’il soit réhabilité à sa juste valeur.


Les secrets du tournage (30 minutes)

Du véritable making of avec les caméras sur les plateaux, la réalisation des prothèses en latex pour les scènes de violence, l’apparition des caméos dans le film (inconnus au bataillon pour l’occidental lambda), ou l’apprentissage du langage des signes par le couple à l’écran (qui le deviendra à la ville durant le tournage). C’est intéressant, et d’autant plus original que l’on a à faire à des documents destinés au marché coréen, avec tout ce que ça inclut de commentaires et visuels saugrenus pour l’européen que je suis. Un peu comme cette idée que l’on a des émissions TV japonaises.


Interview des acteurs (15 minutes)

Les cinq membres principaux du cast parlent du film alors qu’ils sont au dernier jour du tournage. Les segments de 3-4 minutes sont un peu courts pour que ça aille au delà du spot publicitaire, mais c’est amusant de voir ces méga stars en devenir parler de leur future carrière, Song Kang-ho lâchant en mot final : “Je vais commencer le tournage d’un film de Bong Joon-ho qui s’appelle Memories of Murder”. S’il savait…

Créée

le 22 févr. 2024

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Frakkazak

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