Synonymes de Nadav Lapid ne cesse de marcher sur un fil où la construction identitaire côtoie avec véhémence la renaissance et la perdition. Un homme s’enfuit d’Israël pour la France et se retrouve sans rien, nu comme un ver dans un luxueux mais vide appartement de Paris. Alors qu’on vient de lui voler toutes ses affaires, un jeune couple (Émile et Caroline) va lui venir en aide et va l’accompagner dans sa quête.
De là le film tire son épingle du jeu par sa capacité perpétuelle à construire et à déconstruire tout ce qu’il entreprend : sous ce vernis de la définition de soi-même se cache un film qui accroît son attirance et ses fulgurances par sa manière d’appréhender brièvement le récit initiatique. Cet ancien soldat de l’armée israélienne a quitté son pays d’origine, qu’il pense fermé sur lui-même, pour rejoindre un pays – la France – qu’il croit au-dessus de tout : beau, romantique et libertaire. La narration se révèle être à la hauteur du chemin de croix du personnage : vide, proche du non-sens et pourtant, Synonymes est un magma vociférant, abrasif mais aussi assez boursouflé, doté d’une envie presque maline de se jouer des codes et d’y aller aux forceps. Les mots sont importants, à l’image de ces nombreuses lectures du dictionnaire mais le corps est l’épicentre de ce chaos.
C’est là où Tom Mercier, l’acteur qui joue Yoav, fait beaucoup quant à la puissance du film, avec son physique de dieu gréco-romain que l’on voit sous toutes ses coutures dans une première séquence magnifique. Dans le parcours de Yoav, ce n’est pas l’écriture dramatique qui amène au questionnement identitaire, c’est au contraire ses multiples pérégrinations, ses boulots alimentaires et ses brèves rencontres qui lui font toucher du doigt le drame qui se joue sous ses pieds. Malgré les mots, cet Israélien ne veut plus parler hébreu et n’a qu’une seule envie : uniquement parler français et ressentir de près ce que c’est d’être Français, comme s’il voulait être redevable d’un pays qui n’a encore rien fait pour lui, et inversement. Seulement, il n’y a pas de réelle définition de l’identité, le film le comprend admirablement et cette absence de sous-texte, cette absence de cadre qui réunirait les Français, Yoav va se le prendre en pleine face. Caroline, qui deviendra son amante, le coince contre ses propres contradictions : Yoav pense connaître la France et ses contours mais il ne connaît qu’Émile et Caroline. Dans sa manière radicale de penser à l’identité, de s’approprier l’idée même d’être Français, il ne connaît pas la nuance, il préfère continuer à baisser les yeux et à regarder au sol plutôt qu’observer la beauté ou la laideur des alentours. En épousant la radicalité qu’il a voulu quitter, c’est à dire à ne parler qu’une seule langue et d’oublier ostensiblement le langage qui l’a vu naître, il n’embrasse pas le monde mais au contraire s’enchaîne par le prisme d’une identité qui va lui fermer des portes. L’une des ses connaissances en est la preuve : Yaron, un Israélien fier de l’être et qui veut combattre l’idée qu’il se fait du terrorisme par la réciprocité de la haine et par la visibilité outrancière de sa culture. A travers une scène très malaisante, Yaron joue les provocateurs et toise du regard tous les passagers du métro pour déceler l’antisémitisme qui rongerait la France. De par cette séquence, le cinéaste montre les muscles et sans subtilité mais avec force, dévisage la gangrène qu’est cette recherche de l’identité. Dans des cours d’intégration, Yoav chantera La Marseillaise avec fougue, vertu et honneur : mais en comprend-il le sens?
Synonymes un film sur l’errance : une errance qui change de logique narrative et de langage esthétique à chaque coin de rue. Yoav couche avec son amante anciennement fille facile selon les dires d’Émile, danse avec des inconnus, se rapproche de groupuscules radicaux israéliens, fait la connaissance de peintres ou d’artistes abscons, vit une amitié ambiguë avec Émile qui est un fils à papa, pauvre artiste « du dimanche » et en proie au doute quant à son propre talent et donc, lui aussi, combattant sa propre identité et sa vie lénifiante. Oui Synonymes picore des idées par-ci, tombe dans la grossièreté par-là : mais reste dans ce continuel et étroit lien entre la marche en avant et le recul en arrière. C’est la définition même d’un récit où l’initiation devient le synonyme d’intégration : entraînant autant de moments enthousiastes que de péripéties remplies de désillusion. Mais comment se définir soi-même et ne faire qu’un avec une société morcelée par le drame, qui elle-même, ne sait pas mettre de mots sur son visage et qui dévoilera sa ribambelle de démons.
Article original sur LeMagducine