Face à une telle intro on comprend qu'on aura pas à faire à un film qui se respecte, mais ce sera bien plus pertinent que prévu (si vous ne vouliez qu'une surenchère dans le registre, ne partez pas trop vite, le climax viendra avec le photographe sous les toits de la capitale). L'artificialité, le hiératisme, les postures un peu bressonniennes, la confusion mélancolique du héros en crise, collent bien sûr à un certain cliché suranné, mais on le voit s'étaler en dépit de sa dénégation – la carte postale qu'un microcosme nous sert encore n'existe que dans la tête de ce Yoav (et l'humour ne peut être à ce point involontaire, ni un tel cynisme s'ignorer). La photo parfois nous faire croire dans un ailleurs solaire, les mouvements langoureux dans les appartements fastes leurrer un futur proche romantique et doux ; la vérité n'est que reproduction sociale et assèchement général, tandis que celui qui souhaite le plus vivement s'arracher à sa condition, ses origines, son identité, celui-là échoue naturellement et n'est que l'objet des travaux ingrats et de la maintenance affective (et sexuelle) chez des gens sans crainte ni désir.
Avec son allure de grotesque film d'auteur vicelard et maniéré, Synonymes exhibe les hypocrisies de ce qu'il reste du 'rayonnement ['culturel'] français' et du discours [mensonger] d'ouverture de ses élites. Ce fugitif participe à la pseudo-fièvre sartrienne, au Paris romantique et ne fait que s'enfoncer dans la misère au bénéfice de jeunes pervers insouciants (cette sinistre caricature de l'héritier français poète en Audi, plus petit que sa brave femme désespérément fade et impuissante). Il réalise ou admet in extremis l'arnaque, s'arrachant, peut-être pour un instant, à ce délire qui lui fait parler d'un État comme s'il le persécutait – or en Israel il était enrôlé mais pas cible et le [son] problème, s'il peut être considéré politique, est la morgue d'un système et pas ses bras armés formels. Sa sensation de se faire exploiter dans son pays d'origine et dans celui-ci est légitime ; mais c'est difficile à estimer car il accepte toujours tout, il faut simplement un peu insister. Ce faux candide, vraiment innocent et égaré, est un personnage absurde incapable de mener une existence calme où il ne se dégraderait pas ; il est fort mais vulnérable, il a la bêtise des courageux absorbés par leur nombril, les occasions de le torturer sont infinies et il s'y livre, comme si cela ajoutait consistance et authenticité à son dossier d'harangueur de foules. Autant d'efforts fruits d'une obsession et donc d'une fuite mentale, nullement récompensés par une France ensommeillée, abrutie de satisfaction et de répression quasi sereine (ou simplement vaincue et stoïque pour les plus communs des parisiens, ceux du métro) ; une France propre sur soi à l'identité fermée, qui renvoie la pute qu'il est à son origine et le laisse s'épanouir avec les joies de la précarité lesquelles, naturellement, doivent être le lot de l'artiste et de l'homme libre – comme ces nantis et prestataires sociaux qu'il croise sont humbles et généreux, de lui laisser cette place ! Mais naturellement lui s'en prend aux autres prolos dans la rue, qui ont la vertu de blasitude et n'ont rien à foutre de ses angoisses privées ni des conflits politiques insolubles qu'il importe alors qu'il souhaitait s'en détacher.
Les cours de langue et mœurs françaises achèvent de présenter notre pays comme un endroit froid et faux, du moins à sa tête ; il n'y a que des gens comme cette enseignante (Léa Drucker a-t-elle conscience d'incarner tout ce que la 'culture' médiatisée française a de plus déloyal au fil de ses rôles ? Présidente assaillie par 'l'extrême-droite' ou pauvre mère courage qui n'aurait rien à se reprocher, elle enfile constamment le costume de la victime véhémente sous couverture – sous la meilleure couverture que l'époque peut lui prêter.) ou ces migrants pour avoir besoin et donc être capables de croire à la pertinence de tels simulacres. Dans un pays où il est de bon ton de prétendre croire à 'l'éducation', expliquer à des étrangers [galériens et lumpenprolos en puissance] qu'on ne frappe pas les femmes car ici on est tolérants et évolués, le réel est déjà une satire ; et on peut voir que ces interventions ne sont qu'un déguisement pour meubler un pourrissement avec le plus d'éthique possible à déclarer sur la fiche de présence.
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