L'histoire de Tai-Chi Master est simple et claire comme de l'eau de roche : celle de deux jeunes moines shaolin surpuissants, qui se voient chasser de leur temple, et finissent par suivre deux chemins différents : le premier, interprété par Jet Li, reste bon et juste, mais le second, joué par Chin Siu-Ho, devient peu à peu cupide et cruel, et finit par devenir le bras droit d'un eunuque corrompu et oppressant la population, trahissant son ami d'enfance.
Un scénario d'une efficacité redoutable et assez poignant, même si l'on pourra objecter au film de Yuen Woo-Ping le fait de tenter de nous faire ressentir de la peine pour plusieurs personnages secondaires lors d'une scène où plusieurs d'entre eux périssent de malemort, alors qu'on les connaît à peine, de se permettre une facilité en faisant en sorte que l'auberge dans laquelle résident les deux moines soit aussi le QG d'une bande de Robins des Bois volant au tyran pour donner aux pauvres (tu parles d'un coup de chance, frérot), et aussi que le coup du "on est meilleurs potes mais on a des opinions et caractères opposés alors on va se friter" ne brille pas par son originalité.
Certes.
Mais il faut avoir la bonne foi de reconnaître la richesse de ses thèmes, et pour développer mon propos, il va falloir s'intéresser à Jet Li : Né dans une famille pauvre, il étudie les arts martiaux dans une école très rigoureuse, et est remarqué pour ses aptitudes. Ce qui lui permet de faire partie de délégations dans les tournois internationaux pour promouvoir la Chine, le président Nixon lui proposera même de devenir son garde du corps, au cours d'une démonstration sur le gazon de la Maison Blanche, proposition qu'il décline. Il entre au cinéma en 1982 avec Le Temple de Shaolin, son style, très aérien malgré son corps plutôt imposant, est très remarqué, et Jet Li a toujours eu à coeur de revenir aux sources du Kung-Fu et de sa spiritualité, ses personnages étant surtout des individus qui apprennent et/ou ne sont pas totalement expérimentés, et entretiennent des relations tout au plus platoniques avec les personnages féminins, puisqu'ils sont trop dévoués aux arts martiaux.
Le film illustre très bien cela : l'arrivée dans le monde profane, coloré et rempli d'action du personnage de Jet Li étant une métaphore de son entrée dans l'industrie du cinéma, après des années d'études des arts martiaux. Il apprend de plus au cours du film le Tai-Chi, qui lui permet d'exercer sa technique non comme force de domination et de destruction de l'adversaire, mais comme moyen d'être en harmonie avec lui-même et le monde, de ne pas tomber, l'enjeu des combats reposant beaucoup sur l'équilibre des adversaires respectifs, qui combattent sur des éléments instables, comme un filet tenu en l'air ou une structure en bois.
J'aurais probablement jamais appris ça si j'avais pas vu les entretiens sur Jet Li dans les bonus du DVD (ou apparaît d'ailleurs Christophe fucking Gans !), comme quoi ça fait jamais de mal de les voir, les braves petits bonus.
Bien sûr, je rappelle qu'on est dans un film de Yuen Woo-Ping, alors préparez-vous à des PUTAINS DE BONNES BASTONS QUI EXPLOSENT LA RETINE, superbement mises en scène par Yuen, qui a mis le paquet avec une réalisation au style nerveux et découpé, avec des angles très variés, assurant un sacré dynamisme aux nombreuses scènes de bagarre où pullulent les figurants qu'on envoie valdinguer avec grâce, les guerriers qui bondissent dans tous les sens, et les armes et objets divers qui leur sont allègrement balancés à la tronche (big up au combat final, où l'antagoniste jette des humains à son adversaire).
Bastons épiques riches en techniques et variations dans les modalités, qui ont d'ailleurs la vertu d'utiliser le décor comme élément essentiel pouvant influencer l'issue du combat (tout comme dans Iron Monkey ou la Dernière Chevalerie), et non comme simple arrière-plan : cette scène de combat au début, où les deux moines se tatanent à grands coups de bâtons contre des dizaines d'autres, et ont l'astuce de briser des lampes pour les faire glisser par terre avec l'huile, illustre très bien cette chose de bon aloi qui renforce la qualité des bagarres.
Très bon film, que je recommande également pour son accessibilité, tout comme Zu, les Guerriers de la Montagne Magique ou Il était une Fois en Chine.
Sur ce, je vous laisse, il me faut continuer ma route vers l'Est.